30 mai 2020
Témoignages, expériences : Retour sur le confinement passé
La crise sanitaire que toute la planète continue actuellement à subir semblait à son paroxysme il y a désormais plusieurs mois. C’est lundi 16 mars 2020 que le confinement a officiellement été mis en place en France. Avec le recul d’une dizaine de semaines, nous pouvons commencer à rédiger la chronique qui démontre, de notre point de vue, la résilience du mouvement AMAP en Ile-de-France.
Mathilde, salariée du réseau, avait dès fin mars donné une approche de ce que celui-ci avait vécu. Voici en complément « un autre côté du miroir », à partir de divers éléments : les échanges de mails à compter de la mise en place du confinement, et surtout un sondage lancé fin mars et dont les ultimes réponses datent du 10 mai. Ce sont près de 140 AMAP, sur les quelque 350 actives en Ile-de-France, qui s’y expriment.
Préambule méthodologique...
Très vite, la question que la plupart se posaient après les graves annonces des autorités, « peut-on continuer ? », est dépassée. Il s’agit plutôt de savoir « comment continuer ? ». Alors, localement, on se questionne, on tâtonne, on imagine, on essaie… des solutions variées. Quand le réseau lance un sondage pour connaître la situation sur le terrain, 58 AMAP répondent dès le 31 mars (+ de 40% du total), 36 nouvelles réponses arrivent jusqu’au 3 avril, pour donner un total cumulé de 118 le 11 avril. Après un creux où deux réponses seulement sont collectées, une petite relance perdue dans un mail du Réseau permet d’obtenir 22 réponses entre le 27 et le 30 avril. Enfin, les 4 dernières réponses sont arrivées entre le 5 et le 10 mai.
Le corpus est constitué de 139 réponses, du 31/03/2020 vers 14 h au 10/05/2020 vers 11h. Six AMAP ont répondu deux fois (deux fois seulement par une même personne – dans un cas au nom de deux lieux de distribution, dans l’autre à près de 4 semaines d’intervalle), et une seule a répondu trois fois. Ces réponses couvrent en moyenne environ quarante pour cent des AMAP recensées sur l’Ile-de-France, avec des disparités importantes selon les huit départements.
Graphique du nombre de réponses par rapport au nombre d'AMAP par département
Cette documentation sur-représente la situation des premières semaines du confinement (jusqu’au 3 avril), avant que nos AMAP mettent en place leur réorganisation dans la durée.
Au-delà des « critères » cochés (fournissant des informations quantitatives sur la situation avec la municipalité ou avec le paysan, mais liées souvent à la date de la réponse), ce sont les réponses en « texte libre » qui restent intéressantes à lire bien entendu (informations qualitatives).
Vous en trouverez la quintessence distillée dans l’Annexe.
La graphie "AMAP xxxxxxx" a été systématiquement employée, même si certains contrats AMAP peuvent être "portés" par des associations ou "groupes en AMAP" qui ne comportent en fait pas le sigle "AMAP" dans leur dénomination officielle
Un mot d'ordre : poursuivre les distributions
Fin mars, la plupart des AMAP s’apprêtaient à poursuivre leurs activités, sauf choix contraire (AMAP Le Bio Mesnil, AMAP Bocageot) ou impossibilité (cas des AMAP d’entreprise, par exemple AMAP AM'hAPpy), ou bien en suspendant seulement certains contrats (AMAP de Boulogne-Billancourt). Dans quelques cas, la pause saisonnière pour leur maraîcher tombait durant le confinement (AMAP Les Pâtissons du Montois).
Les Préfectures ayant rapidement autorisé la poursuite des activités amapiennes, les mairies ont plus ou moins suivi le mouvement (comme en témoignent les réponses pour : AMAP Côté Panier, AMAP Le panier vanvéen, AMAP Les Paniers verts du Perreux, …). Mais les locaux municipaux accueillant les distributions des AMAP sont souvent restés fermés (AMAP Eaubon’AMAP, AMAP Les pépins punk). Il a fallu trouver de nouvelles solutions, migrer vers un autre lieu (AMAP Palabres autour d’un panier, AMAP du Landy [sauvage]), chez un amapien (AMAP Les Cagettes de Lafayette), ou dans un lieu à ciel ouvert à l’écart (AMAP Le Panier de la Tour Penchée, AMAP des 7 arpents). Si plusieurs AMAP distribuent dans un même lieu, cela les amène à se concerter (AMAP Les Jardins de Pecqueuses, AMAP Le jardin vanvéen). L’une a parfois même accueilli l’autre dans ses locaux (AMAP Terréville, chez l’AMAP de Pussay – Aux légumes de Gaïa).
Afin de minimiser les contacts, c’est la fréquence des livraisons qui a parfois été modifiée, avec passage à fréquence bimensuelle au lieu d’hebdomadaire, quitte à doubler les volumes (AMAP Ph’ann du Jardin, AMAP La Farigoule, AMAP les Paniers de l’ancoeur, AMAP du Donjon). Parfois la modification concerne certains contrats seulement (AMAP Elément Terre, AMAP Gentillamap).
Certes la convivialité consubstantielle aux AMAP a diminué avec l’application stricte des règles de précautions sanitaires et de distanciation physique. Le principe des AMAP (un lien avec un paysan dont on visualise le visage quand on est livré de ses produits), lui, s’est maintenu.
Du point de vue des paysans, il y a eu des craintes initiales par rapport au risque de contamination via le contact avec leurs amapiens (urbains ?). Il a parfois fallu les rassurer (AMAP Partage de récolte, AMAP Bon Amappétit). Cela a aussi été un argument en faveur des diverses réorganisations mises en place. Pour respecter des règles sanitaires, on a cherché à ce qu’un minimum de personnes manipulent les légumes. Les maraîchers préparent parfois « en amont » les « paniers individuels », souvent à leur propre initiative, même si cela leur prend davantage de temps (AMAP de Bagneux, AMAP Les Agapes, AMAP Let it Blettes, AMAP Les Paniers de l’échange, AMAP La courgette solidaire, AMAP Bel & Vert, …), éventuellement aidés par des amapiens (AMAP Graines de BelleVille, AMAP Nation – Le Temps des légumes). La question des contenants s’est parfois posée (AMAP Traverse, AMAP Les paniers de la Forêt). Pour simplifier les livraisons, certains producteurs peuvent amener d’autres produits que les leurs (AMAP Le cri du radis).
Plus que jamais dans cette période, on peut constater que les « Bureaux » ou les « Collectifs » des AMAP (bref, les "mangeurs" un peu plus impliqués que d’autres sans qui un « groupe en AMAP » a du mal à exister) ont souvent pris les choses en main en effectuant eux-mêmes à chaque fois des taches habituellement réparties sur un plus grand nombre d’amapiens chacun à leur tour (AMAP Les Colibris d’Andrésy, AMAP La Terrasse du T3). Ici ou là, des groupes de travail ont réfléchi, ont cadré les choses grâce à internet (AMAPlace, AMAP Belle Vie, L’AMAP au panier), puis les idées sont passées d’une AMAP à l’autre grâce aux InterAMAP ou à des synthèses réalisées par le réseau.
Les livraisons peuvent se passer en mode « drive » (AMAP Le Panier à salades), les amapiens venant en voiture chercher leur panier (AMAP Jardins en Hurepoix). Ce terme peut aussi recouvrir le fait que les commandes ne sont plus gérées par l’AMP mais « en direct » par le paysan (AMAP Les Pot’Irons). Les masques sont bien entendu de rigueur, parfois de fabrication « maison » (AMAP Jardins enchantés), on trouve aussi à disposition du gel hydroalcoolique (AMAP Clamap) ou de l’eau et du savon pour se laver les mains (AMAP Légumes des Jours). Les plannings pour l’heure à laquelle chacun viendra chercher son panier sont préparés à l’avance afin d’éviter les queues (AMAP Coup de Pousse, AMAP des Docks).
Source : Amaplace
La solidarité dans l'ADN des AMAP
Une attention particulière est portée aux personnes fragiles ou malades, on leur porte leur panier (AMAP Les Paniers de Chantereine, AMAP Les paniers de l’Ancoeur). L’organisation peut varier : regroupement par voisinage pour qu’un seul amapien se déplace, « points-relais » dont le paysan fait la tournée (AMAP Le Potager du Bois, AMAP La sente des p’tits légumes), ou qui sont approvisionnés par des amapiens « dispatcheurs » (AMAP de Bagneux, AMAPouss’). Peut-être peut-on relever une différence entre AMAP urbaines ou rurales, où les amapiens peuvent être davantage éparpillés sur un territoire (AMAP Les Jardins de Pecqueuse) ?
Nous pouvons considérer avoir su nous adapter aux circonstances sans y perdre notre ADN (un contrat AMAP, moyen que le mangeur puisse connaître le visage du paysan qui le nourrit) : le lien avec les paysans est bien maintenu. Face aux nombreux problèmes connus par ceux-ci, les amapiens cherchent des solutions, en commençant par augmenter le nombre de paniers pour pallier la perte d’autres débouchés (AMAP Réunion Père Lachaise, AMAP L’Aneth). Mais face au manque de main-d’œuvre aux champs qui est évoqué, il y a peu de solutions (AMAP Le Panier d’Issy, AMAP Le Cresson gourmand). On sent une frustration pour les AMAP où sont habituels les « ateliers de découverte des travaux des champs » par tous les amapiens qui le souhaitent (AMAP AMDA de la boucle, AMAP de Colombes, AMAP Les paniers de Longpont), et qu’elles attendent avec impatience de pouvoir y retourner (AMAP Côté Panier, AMAP de Colombes, AMAP le Jardin de Paul, AMAP Terrain Vague, AMAP Terr’éville, AMAP Le potager de la fontaine).
Le corpus étudié ne mentionne guère le retour à une vie normale qui se profile doucement (bientôt les vacances d’été ?). La période étudiée a parfois chevauché celle du renouvellement de contrats, pour laquelle il a encore fallu être inventif : virements, plateforme internet… (AMAP La clé des champs, AMAP Liberté Suresne, AMAP Les Lapereaux des Thermopyles). Certains amapiens optimistes espèrent que cette crise sera au final bénéfique à l’agriculture paysanne (AMAP de Colombes, AMAP Pomme, Persil, Potiron). Qui sait, peut-être un ex-AMAP dont j’avais vu par ailleurs qu’elle avait décidé de s’interrompre fin 2019-début 2020 après quatre années d’activités, finira-t-elle par regretter ce choix et revenir vers nous ? (AMAP Méry’AMAP)
Une vague de remerciements
Enfin, les AMAP sur le terrain ont dans leurs échanges avec les salariées du réseau unanimement manifesté leur appréciation positive de la réactivité dudit réseau, et du travail accompli par son équipe pour le lien maintenu entre AMAP ainsi qu’avec les pouvoirs publics.
Et je peux d’autant plus le dire que je suis aujourd’hui un amapien « de base » et extérieur, ni élu ni salarié. Terminons donc par un florilège des remerciements au Réseau !
Plus de 40 AMAP ont témoigné auprès du Réseau de leur reconnaissance pour le travail de prise de contact avec les préfectures (AMAP Montrouge, AMAP Terrain vague, AMAP 94, AMAP Le Panier de la Tour Penchée, AMAP de Colombes, AMAPola). Ces autorisations préfectorales ont souvent joué un rôle pour inciter les élus locaux à autoriser l’AMAP à poursuivre ses activités (AMAP La chèvre et le chou, AMAP Le Panier vanvéen, AMAP La sente des p’tits légumes, AMAP A ma porte, AMAP Les paniers verts du Perreux, AMAP Les paniers de Chantereine…). La transmission des différents documents et des liens pour les obtenir ont décidé plus d’une AMAP à poursuivre ses activités (AMAP Rouge Tomate, AMAP Légumes des jours, AMAP La Terrasse du T3, AMAP Nation – Le Temps des légumes, AMAP du Donjon, AMAP Artichauts et Brocolis). Plus largement, la mutualisation des solutions adoptées ici ou là à l’ensemble des AMAP a été appréciée (AMAP Cœur d’artichaut, AMAP La Terrasse du T3, AMAP Let it Blettes, AMAP des quatre chemins), mais aussi les réponses aux questions posées (AMAP Le Potager de la Fontaine). Comme déjà mentionné, on note parfois le regret de ne pouvoir pour le moment aller travailler chez les paysans (AMAPouss’).
Je ne résiste pas à l’envie, pour finir, de vous donner des nouvelles du couple de maraîchers à l’initiative de la première AMAP en France en 2001, l’AMAP des Olivades, à Ollioules (83) :
« Comme vous l'avez remarqué, vu leur âge, Denise est confinée, elle participe à la com à la maison. Daniel est confiné en plein champ pour arroser les artichauts et les fèves, s'occupe de la pépinière (semis et plants) et ramasse les radis cerise et les radis asiatiques le lundi et le jeudi. » (extrait de leur INFO COVID-19 N°3 - 22 mars 2020).
Article rédigé par David, AMAP Réunion / Père Lachaise (75011 / 75020)