13 sept 2024

Sécurité Sociale de l'Alimentation : apports, place, et perspectives des AMAP

Depuis quelques mois, voire années, lorsque l’on parle de droit à l’alimentation, tous les projecteurs sont tournés vers la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) : un projet de société pour faire face aux enjeux agricoles et alimentaires en inscrivant le droit à une alimentation choisie et de qualité par une loi pour tous. Nombreuses sont les expérimentations qui se réclament de la SSA, diverses sont les formes qu’elles peuvent prendre en fonction des territoires et des acteurs engagés.

Une journée de travail organisée par le GT "Accessibilité alimentaire"

Afin de mieux s'approprier le projet politique de la SSA, les différentes formes que peuvent prendre les expérimentations et continuer à clarifier le positionnement du mouvement des AMAP, le Groupe de Travail « Accessibilité Alimentaire en AMAP » a organisé une journée de travail dédiée à la SSA. Mercredi 10 juillet 2024, nous étions 18 personnes, salariées et bénévoles et/ou administrateur·rices du Mouvement Inter-régional des AMAP (Miramap) et des réseaux régionaux d’AMAP (Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Isère, Ile-de-France, Les Paniers Marseillais) à nous retrouver à Lyon.

Au sein de notre mouvement, l’intérêt pour le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation ne date pas d’hier. Le Miramap suit les travaux du collectif SSA depuis 2019. Depuis 2021, deux administrateur·trices du Miramap participent activement aux travaux du collectif pour une SSA, rejoints par un amapien d’Ile-de-France, qui a notamment été à l’initiative du groupe local SSA Sud-Ouest Ile-de-France. Parmi les participant·es à cette journée, on retrouve Eric, représentant du Mouvement des AMAP au sein du collectif national de la SSA, et Antonin, amapien et impliqué dans le collectif SSA depuis janvier 2021 et des amapien·nes investi·es dans des expérimentations locales liées à la SSA.

Les trois piliers de la SSA à l’épreuve des AMAP

Concrètement et sur le modèle du système de santé institué en 1946 (à lire  La bataille de la sécu par Nicolas Da Silva), une carte vitale de l’alimentation donnera accès à des produits, conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne (soit un coût de 120 milliards d'euros à l'échelle nationale). Le conventionnement reposera principalement sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local, et articulées avec une instance nationale composée de membres représentants de ces caisses.

  • Universalité - « Une politique pour les pauvres est une pauvre politique » (Mathieu Dalmais, agronome, formateur et conférencier gesticulant sur les enjeux agricoles et alimentaires) : qui veut construire du droit propose un mécanisme pour tous et toutes, et non pas une politique d'aide à destination de personnes en situation de précarité. Actuellement, le collectif a pour objectif l’adoption d’une loi pour s’adresser à tous les habitant·es et pour cela une adhésion populaire majoritaire au projet est nécessaire.
  • Conventionnement démocratique - Les habitant·es auront la possibilité de choisir  les produits qui seront accessibles avec l'allocation universelle de 150€. Des acteurs pourront être conventionnés sur la base de leurs pratiques au regard d'un cahier des charges ou d’un engagement dans une transition de système de production. L'organisation de ce choix collectif et démocratique se ferait par le biais de caisses locales et pose de nombreuses questions : comment décide-t-on de conventionner des produits, des lieux d'approvisionnement et des fournisseurs ? Comment permettre une prise de décision démocratique en connaissance de cause ? Quel serait le territoire de référence du conventionnement – bassin de vie, ville, département ?
  • Financement par la cotisation sociale - Les cotisations seraient issues de la valeur du travail et versées directement aux caisses pour une gestion directe du financement. Deux tendances co-existent actuellement au sein du collectif sur la forme de la cotisation : une cotisation sur la valeur ajoutée du travail ou une cotisation, comme les autres, sur le bulletin de salaire avec une part salariale et patronale, et donc ramenée à la valeur du travail d'un individu. Dans les 2 cas, l'argent est versé aux caisses qui le gèrent sans tutelle et démocratiquement. 

De nombreux questionnements émergent :

  • Comment s’assurer de la représentativité effective de l’ensemble des habitant·es dans les espaces de décision démocratique ? Un élément de réponse, un part du budget obtenu par la cotisation permettrait de financer des animations d’éducation populaire et pourquoi pas de défrayer les personnes qui siègent au sein des conseils locaux.
  • Comment éviter l’influence du marketing, des grosses exploitations, lieux de distribution ou des industries agro-alimentaires pourvoyeuses d’emplois locaux ? Nécessité de développer la prise de décision « en connaissance de cause » et de faire vivre la démocratie.
  • Y a-t-il des critères préétablis, des lignes rouges pour le type de produits conventionnés ? Rien d’injonctif. Le temps de prise de conscience, de déconstruction et de reconstruction doit faire partie du fonctionnement de la caisse locale. C’est la caisse locale qui décide.
  • Comment s’assurer d’un véritable fonctionnement démocratique et éviter la reproduction des rapports de domination ? Une partie du budget pourrait financer l'animation nécessaire pour permettre la décision démocratique. 
  • Question de la territorialité d’action pour le conventionnement par les caisses, alors qu’il y a des grosses disparités géographiques, des spécialisations régionales, etc ? Cela questionne l’accessibilité géographique, il faut aussi penser la territorialisation en parallèle.
  • Comment est pensé la solidarité avec les producteur·rices ? Quelle place pour les producteur·rices dans les réflexions ? Idée d'une caisse d'investissement permettant d'accompagner des changements de pratiques et de fonctionnement (ex : accompagner dans une conversion en bio), paiement de service de remplacement, etc..
  • La notion de salaire peut être excluante, comment valoriser les expériences non salariales ?

Les AMAP dans la SSA : apports et perspectives

A partir des témoignages et analyses d’Antonin et Eric, nous avons échangé sur la place des AMAP dans le développement du projet SSA, sur le rôle et la forme des initiatives locales ainsi que sur les différentes tendances portées au sein du collectif dans la définition du projet politique. De nombreux éléments sont encore au travail et nécessitent l’organisation de groupes de travail et de réflexion.

  • Sur le conventionnement démocratique : les AMAP expérimentent des méthodes de choix de partenariats, de co-construction du contrat, de projets de solidarités entre AMAP et fermes, d'évolution des partenariats, de fonctionnement démocratique depuis 20 ans.
  • Sur la cotisation : dans certaines AMAP, on constate le choix de la mutualisation des moyens pour que chaque membre paye en fonction de ses moyens par le biais d'une tarification différenciée, tout en rémunérant équitablement la ferme. Même si cela est loin de l'idée d'une cotisation, c'est déjà un premier pas vers la gestion d'un budget commun sur l'alimentation. Par ailleurs, toutes les AMAP cotisent mensuellement sur une durée d'un an ou six mois pour avoir le droit d'accéder à une part de récolte. 
  • Sur l'universalité : même si les AMAP sont ouvertes, on constate la difficulté de les rendre accessibles à tous et toutes. Le chantier "accessibilité alimentaire en AMAP" y travaille, et de nombreuses AMAP expérimentent des partenariats avec d'autres et retravaillent leur fonctionnement pour être davantage accessibles.

Un débat mouvant nous a ensuite conduit à nous questionner sur la posture des AMAP et des réseaux vis-à-vis de la SSA :
La question pour ce débat mouvant : évoluer au vu des changements de contexte, ou réaffirmer nos valeurs et notre modèle ?

Les échanges nous ont également menés à réfléchir sur les apports et les limites de notre modèle AMAP dans la recherche d'une transformation sociale et économique :

  • La place et le rôle des alternatives dans la dynamique de transformation sociale : limites et leviers 
  • Quelle posture s'agit-il d'adopter au sein des collectifs comprenant différentes organisations nationales d'obédience différente ? 
  • Comment les différentes formes de luttes peuvent-elles ou non s'articuler en cohérence ?
  • Quelles alliances et quel pacte d'alliance passe-t-on avec les autres parties prenantes de la transition- transformation de la société ?
  • Doit-on considérer l'état social comme une solution ou un problème vis à vis du droit à l'alimentation et comment la sociale peut-elle être une perspective pour le réseau des AMAP ?

Le constat de cette journée est que les AMAP, en tant que mouvement citoyen et paysan, ont beaucoup d'expérience à apporter, que ce soit à l'échelle du collectif national ou dans des initiatives locales. En effet, elles ont toute légitimité pour participer aux expérimentations, voire peuvent être elles-mêmes considérées comme des initiatives pour une SSA, à l’instar de l’AMAP étudiante La Cagette verte.

On se retrouve à la rentrée ! 

A la fin de l’après-midi, des pistes d’actions et de réflexions communes ont été partagées afin de poursuivre notre travail collectif.
En voici quelques exemples :

  • co-construire un atelier en visio sur la SSA dans le cadre du cycle "Décryptons l'agriculture paysanne" ;
  • élaborer une séquence d’animation pour partager nos connaissances et expériences dans le parcours d’apprentissage des personnes qui participent aux caisses locales ;
  • associer les paysan·nes de notre mouvement aux réflexions ;
  • etc.

 

Pour aller plus loin :

 

Par des membres francilien du GT "Accessibilité Alimentaire en AMAP"

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