21 déc 2022
[Parole à...] Méthanisation industrielle en Île-de-France : la fausse bonne idée
La Région Île-de-France souhaite multiplier par 10 le nombre d'unités de méthanisation pour le porter à 240 à l'horizon 2030. Ce processus consiste à produire du gaz à partir de la fermentation de déchets végétaux et de matières organiques diverses dans un digesteur. A petite échelle, dans des régions d'élevage, ces projets pourraient contribuer efficacement à l'élimination des effluents (lisiers...). La trajectoire prise en Île-de-France est bien différente. De nombreux collectifs citoyens voient le jour partout dans la région pour rejeter ces gros méthaniseurs à l'image du Sud-Essonne mobilisé contre le projet d'Angerville (91). Le Collectif d'Alerte sur la Méthanisation en Sud-Essonne est en effet composé de plusieurs membres d'AMAP locales qui luttent en lien avec les associations de parents d'élèves, des élus, des associations de défense de l'environnement et la confédération paysanne. Quelles sont les principales craintes de ces collectifs?
Création volontaire de déchets
Une des différences principales entre les gros méthaniseurs franciliens et les petites unités dans des régions d'élevage comme la Normandie est le type de matière organique utilisée pour nourrir le digesteur. L'introduction d'effluents d'élevage (lisiers, fumiers..) dans les méthaniseurs de petites unités semble relativement cohérente dans le but de réduire les déchets et de minimiser les impacts environnementaux des fermes. Toutefois, la logique promue dans une région si dépourvue d'élevage qu'est l'Île-de-France est tout autre. Les méthaniseurs franciliens sont remplis, dans bien des cas, à plus de 70% par des cultures dédiées. Qu'elles soient dites "Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique" ou "Cultures Principales", ces céréales sont généralement ensilées avant d'être introduites dans les méthaniseurs. Étant dans bien des cas coupées avant la moisson, ces cultures ne servent à rien d'autre que de produire du gaz. Nous sommes donc face à une création de déchets pour les méthaniser et non un recyclage de déchets existants.
Accaparement des terres
La mise en place de ces fameuses Cultures Intermédiaires à Vocation Energétiques (CIVE) peut se révéler particulièrement lucrative pour les agriculteurs impliqués dans des projets de méthanisation. Ces exploitants sont donc tentés de modifier leurs assolements pour produire plus d'énergie et moins d'alimentation. Par ailleurs, ces gains potentiels liés à la méthanisation de leurs cultures poussent également de plus en plus d'exploitants à s'agrandir en récupérant des terres pour nourrir encore un peu plus leur méthaniseur. Ceci entraîne une concurrence encore plus féroce pour les terres agricoles dans les campagnes. Cette compétition se fait bien souvent au détriment des petits projets de création de fermes biologiques nourricières, qui ne sont pas aussi soutenues dans les instances d'attribution des terres telles que la SAFER. Les terres servent donc de plus en plus à nourrir plutôt des méthaniseurs que des humains ou des animaux qui serviront à alimenter les humains. En France, 370 000 ha de cultures sont consacrées à la méthanisation (cives ou maïs), l'équivalent de la surface agricole utile d'un département.
Appauvrissement des sols
Depuis des générations, les paysannes et les paysans ont toujours essayé de laisser un maximum de matière organique dans leur champs afin de nourrir la biosphère des sols. Suite à la moisson des champs de céréales, une grande partie des agriculteurs décident d'enfouir les tiges restantes (chaumes) dans le but d'enrichir le sol en carbone. Ce carbone est un dynamiseur incroyable de l'activité biologique des sols. Cette matière fermentescible va être dégradée lentement par les micro-organismes (champignons, levures, bactéries, micro-algues...). Ces organismes ne resteraient pas en grande quantité dans les sols s'ils n'avaient pas le carbone à manger.
Une activité biologique importante des sols est pourtant essentielle pour garantir la croissance des plantes sans recours massifs aux engrais de synthèse. En effet, les micro-organismes du sol communiquent avec le système racinaire des plantes, facilitant ainsi l'assimilation des nutriments du sol par les plantes.
Dans le cas des gros projets de méthanisation franciliens, les agriculteurs extraient de leurs champs l'intégralité de parties aériennes des plantes afin de mettre un maximum de matière dans le méthaniseur dans le but de produire un maximum de gaz. Ceci prive de nourriture les micro-organismes du sol de nourriture et oblige les agriculteurs à nourrir leurs plantes avec des produits extérieurs.
Un procédé bon pour le climat ?
Au-delà des côtés positifs de l'enfouissement du carbone dans le sol pour la nutrition des micro-organismes, le fait de laisser le carbone dans le sol contribue à diminuer l'effet de serre. En effet, lorsqu'il est dans le sol, il n'est pas libéré en CO2 et ne contribue pas aux désordres climatiques. Le méthaniseur d'Angerville (91) prévoit par exemple de produire 55% de méthane (injectée dans le réseau GRDF) et 45% de CO2 (libéré dans l'atmosphère). Le fait de nourrir les méthaniseurs avec des cultures dédiées conduit donc à ne pas piéger le carbone dans le sol mais à le libérer dans l'atmosphère sous forme de CO2.
Au-delà du CO2, les installations de méthanisation sont très souvent sujettes à des petites fuites de méthane. Ce gaz dispose d'un potentiel de réchauffement global 25 fois plus important que le CO2. D'autre part, lorsque les digestats qui sortent du méthaniseur sont épandus, ils représentent encore un risque pour le climat. Le professeur à l'Université de Caen Normandie Daniel Chateigner indique que "le digestat est très volatil, l'ammoniac se disperse très facilement dans l'air. A son contact, il s'oxyde et va développer du protoxyde d'azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2". Justifier la mise en place d'installations de méthanisation au nom de la lutte contre le changement climatique semble donc relativement questionnable.
Méthanisation industrielle, qui paye ?
La volonté politique d'encourager ces systèmes de méthanisation industrielle se traduit par un afflux massif d'argent public. Le rapport du Sénat sur le sujet, sorti en septembre 2021 indique que l'Etat financera les tarifs d'achat du gaz et de l'électricité sortis du méthaniseur à hauteur de 16,2 milliards d'euros jusqu'à 2028. Le coût de fonctionnement de ces installations sera donc très important pour le contribuable. Mais la construction des installations sera également financée par de l'argent public avec des aides de l'ADEME (425 millions en 10 ans) et des prêts sans garantie de BPI France (175 millions). En Île-de-France, le Conseil Régional, présidé par Valérie Pécresse, a validé en janvier 2021 le financement de 12 projets de méthanisation pour près de 600 000 euros par projet.
Les citoyens qui se chauffent au gaz paieront donc leur gaz 3 fois : sur leur facture de gaz, via l'état qui soutient les prix du gaz et via la région, l'ADEME et la BPI qui soutiennent la construction de ces usines à gaz. Ne parlons pas de celles et ceux qui ne se chauffent pas au gaz et qui paieront quand même la construction et le fonctionnement de ces installations. La pertinence économique de ces installations est donc très loin d'être prouvée.
Des citoyen(ne)s du territoire se mobilisent contre ces installations considérées comme coûteuses, polluantes, incohérentes agronomiquement et rentrant en concurrence avec l'alimentation. Le Collectif d'Alerte sur la Méthanisation en Sud-Essonne vous invite par exemple à signer massivement sa pétition contre l'usine à gaz d'Angerville alors qu'une consultation publique est en cours et qu'une décision du préfet est attendue. N'hésitez pas :
Par Florent, paysan en Essonne