Le week-end des 2 et 3 avril, un épisode de gel a de nouveau frappé les arboriculteur·rices francilien·nes. Pierre-Marie, arboriculteur en AMAP installé dans la Brie (77) depuis 2018, a raconté à ses amapien·nes la lutte qu'il a mené pour protéger ces vergers face à la chute des températures.

Pierre-Marie Fahy est installé sur 5,8 hectares à Jutigny et 2 hectares à Chailly-en-Brie. Il a repris le verger de Bernard Vincent  via Terre de Liens. Il travaille seul dans son verger et distribue 95% de sa production de fruits en AMAP et le reste en magasin. En plus des pommes et des poires qu'il produit principalement, il propose des cerises, prunes et coings. Il transforme une partie de ses pommes en jus qu'il fait lui-même. Le gel, il connaît : en 2019, il a perdu 95% de sa première saison de récolte après son installation, puis en 2021, sa récolte est de nouveau touchée.

Le mardi 5 avril 2022
Quelques jours après les épisodes de gel successif, les actions mises en place pour protéger le verger 

Bonjour à toutes et à tous,
Pour commencer, un très grand merci pour vos messages de soutien. Comme promis, voici la petite histoire de ce premier week-end d'avril.

Commencer un 1^er avril sous la neige, c'est assez surprenant. A ce moment-là, la question est de savoir quel effet aura la neige sur les arbres en fleurs ?  Ce vendredi 1^er avril, je passe le broyeur dans tout le verger de manière à limiter la hauteur de l'herbe et donc limiter l'humidité et l'apparition du froid...

Le samedi 2 avril en prévision des températures annoncée, je pulvérise du jus de pomme (et oui vous le trouvez bon, les arbres aussi) à 5 litres/ha dilué dans 400 litres d'eau. Le jus de pomme, ou plutôt le glucose qui est dedans, renforce les cellules du végétal (fleurs, feuilles, bourgeons etc.). De plus, le sucre crée une pellicule qui va limiter le point de gel. Est-ce de la poudre de perlimpinpin ? La théorie à l'air logique alors essayons.
A 23h50, la station météo du verger sonne et donne l'alerte : il fait déjà -0,5°C. Honnêtement, je me suis dit : « Pétard, ça démarre tôt. Trop tôt. Ça sent mauvais ! ». Bref, à 00h20 la Tour est en route : elle permet d'uniformiser les températures en mélangeant la couche d'air chaude en altitude et la couche d'air froide au sol. On est parti pour une nuit de patience. Un copain est venu me soutenir. Le bilan de cette nuit : la température a été maintenue à -2,5°C dans le verger, là où on relève du -4°C.

Le dimanche 3 Avril rebelote pour le traitement au Jus de Pomme. En milieu d'après-midi, j'ai une intuition que le froid va être plus violent alors que beaucoup de copains me disent que le plus gros du froid est passé. Les prévisions météo sont variables selon les différents sites. Une chose est sûre c'est qu'il ferra -1°C à 23h : trop tôt à mon goût. J'appelle Mathieu, un copain éleveur, et je vais chercher des ballots de paille (6 de 300kg, combien de temps ça durera, on verra) pour renforcer la lutte avec la Tour.
A 20h50, la station météo sonne, il fait -0,5°C, à 22h30 on est déjà -1,5°C. C'est l'heure d'allumer les ballots ! Le but faire de la fumée, un épais nuage que la tour va disperser au-dessus du verger. Bingo ça semble fonctionner, le nuage s'étale parfaitement.
Dans la foulée des copains appellent, ils me disent : « Tient bon, on arrive avec un plateau complet ! » (soit 32 ballots de 300kg...). A 1h30 du matin, on dispose les ballots et on rallume des feux. Il y en aura 9 disposés un peu partout autour de la Tour. Le froid arrive, un froid glacial qui vous saisit les jambes et le dos. Ce froid a un goût de déjà vu...
La nuit avance les feux sont alimentés. Papa relève les feux au tracteur et remet des ballots. On rajoute du bois et surtout on a les yeux rivés sur la station météo. Le verdict : la température continue à descendre, doucement mais sûrement. Le nuage reste épais et bien au-dessus du verger.
L'opération sera maintenue toute la nuit, le thermomètre nous affichera -3,9°C. C'est bas, mais il fait plus froid ailleurs. Les copains annoncent des -5°C vers 4h00 du matin.
A 7h30, on rentre se doucher (car la paille brûlée je vous assure que ça ne sent pas bon). A 8h30, je vais éteindre la Tour, la température remonte peu, signe que le froid était puissant ! Chez Bernard, on relève du -5°C, ce qui aurait dû faire du -6°C aux Vergers. L'intuition fut bonne ! La stratégie a été payante. Les différents relevés sur notre secteur révèlent du -5,5°C sur le plateau de Provins, du -6,5°C sur la Ferter-Gaucher et -4°C dans l'Essonne.  Météo France annonce la température la plus froide depuis 1947 !

Quels dégâts aurons-nous ? Le résultat sera visible dans les jours et semaines à venir.

Je tiens à remercier Mathieu, copain éleveur toujours disponible pour prêter tracteur, remorque, et, a tout de suite répondu ok pour que je prenne de la paille.
Merci à Julien, Vincent et Baptiste qui n'ont pas hésité à venir avec un Manitou et un plateau plein de ballots de paille.
Merci à Papa pour son action et efficacité.
Merci à celles et ceux présents par message durant ce long week-end.

Maintenant il ne reste plus qu'à attendre, et espérer que cet épisode est le dernier du printemps !

Le jeudi 28 avril
Un mois après les premiers épisodes de gel, quelles premières estimations des conséquences sur les vergers ?

Pierre-Marie nous fait part des estimations de l'impact du gel sur les récoltes :

• Pour les pommes, les arbres n'étaient pas encore en fleur, donc il ne devrait pas y avoir d'impact des épisodes de gel sur la récolte.
• Pour les poires, elles étaient au pic de la floraison quand il a gelé. Les moyens de protection mis en place par Pierre-Marie ont beaucoup aidé. Aujourd'hui, il estime à 10% les pertes pour les poires. Ces collègues font les mêmes estimations, tout le monde a mis en place des protections. Si cela continue comme ça, ces épisodes de gel pourraient presque être bénéfiques en permettant un éclaircissement des futurs fruits puisqu'il y avait eu une fleuraison énorme. Par contre, il faut attendre le 15 juin à peu près pour en être sûr. Il se peut que, lorsqu'il a gelé, les poires aient souffert des microlésions sur la queue. Ces lésions se verront lors de la chute physiologique de la poire (quand elle commence à être lourde et qu'elle pend). S'il y a trop de lésions, les poires vont tomber et les pertes seraient supérieures à 10%. Si le froid n'a pas fait les lésions, alors il n'y aura pas de chute supplémentaire et on pourra être content.
• Les cerisiers et les pruniers étaient aussi en fleur. Pierre-Marie estime qu'il y aura 50% de pertes. Ses pruniers sont "mal situés au sein de son verger" et il est impossible de les protéger contre le gel.

Pour finir, Pierre-Marie dit que quand les aubépines sont en fleur, le gel est passé. Il s'est promené ce matin en forêt et a vu des aubépines en fleur... Espérons que le froid ne revienne pas !

Propos de Pierre-Marie Fahy, recueillis par Lucie et Astrid, salariées du Réseau AMAP IdF.