28 avril 2023

La ferme de Léna, tournée vers l’avenir

Rencontre avec Gary Van Meeuwen à sa ferme à Perceneige, dans l'Yonne. Il revient sur son parcours atypique, ses motivations et ses attentes de ses partenariats en AMAP.

Un mercredi de fin octobre vers 18h, Gary se pose sur un banc dans le jardin de la Maison Faitout dans le 20e arrondissement de Paris. Autour de lui, des AMAPiens s'activent pour installer la distribution des légumes qu'il vient d'apporter.

C'est la troisième fois qu'il livre l'AMAP Les Prairies, et certains bénévoles ne le reconnaissent pas encore : “Oui, je suis un nouvel adhérent,” dit Gary, toujours l'œil taquin. Son jeu s'arrête quand un autre lui demande le détail du panier. Cette semaine, la part de récolte est composée de betteraves, de navets boule d'or, de radis blancs, de courges Sucrine de Berry, d'épinards et de Batavia. Ce matin, ces deux derniers poussaient encore dans les champs de sa ferme — La Ferme de Léna — nichée dans les douces collines de l'Yonne parmi des champs de grandes cultures.

“Je ne suis pas entouré que par l'agriculture conventionnelle ; il y a du bio. Mais c'est une zone de grandes cultures : de l'orge, du blé, du colza et du maïs. La terre ici est un peu argileuse, ce qui n'est pas le top pour faire du maraîchage. Pourtant une terre argileuse est très bonne pour les nutriments et le goût des légumes. Cette terre a du caractère, mais si tu la comprends, si tu sais la travailler, tu peux faire des bons et beaux produits,” dit Gary, qui parle avec son expérience de 15 ans dans son potager et 5 ans en maraîchage bio.

“J'avais besoin de me sentir vivant”

Né en région parisienne, Gary a vécu “un peu partout jusqu'à vivre en Guadeloupe” et a fait plusieurs métiers : militaire, maçon, gardien d'immeuble, livreur, coursier, cariste, électricien. Après quelques années dans le 11e arrondissement, Gary et sa future femme achètent une maison de campagne dans l'Yonne pour “s'échapper” au vert le week-end. Tout de suite, Gary, qui jardine depuis qu'il est gamin, plante un potager bio — une évidence pour bien manger et manger moins cher.

Au fil des années, l'idée de devenir maraîcher vient petit à petit à Gary, qui en a marre de son travail d'électricien mais se sent bien dans son jardin — élargi depuis à 5000m2 grâce au terrain de sa voisine.

“J'avais besoin de me sentir vivant, d'avoir un sens dans ma vie. Et dans le maraîchage bio, il y a du sens,” dit-il. En 2017, il s'inscrit à une formation au CAP agricole à Gron (Yonne). Pendant ses nombreux stages — en permaculture, sol vivant, horticulture tropicale, maraîchage bio — Gary découvre les AMAP.

“Tout de suite, je me suis dit 'j'ai envie d'être maraîcher et de travailler comme ça,'” dit-il, citant le côté humain, familial, le partage et le soutien que les AMAPiens montraient aux maraîchers. Il poursuit un Brevet Professionnel Responsable d'Entreprise Agricole (BPREA) à Auxerre (Yonne) et espère ensuite exploiter son jardin derrière sa maison. Mais sa voisine, qui lui prêtait le terrain de 5000m2, est contre l'idée — un coup dur pour Gary.

Désespéré après de longs mois de recherche pour un terrain, Gary visite, début 2020, une pépinière laissée à l'abandon depuis deux ans.

“Il fallait imaginer le truc”

Malgré une bonne infrastructure d'une dizaine de serres, un grand hangar et des chemins en ciment, le site de 4,3 hectares est en désordre. Les champs sont en friche de fleurs sauvages. Dans les 8000m2 de serres, des millions de pots sont étalés par terre, des mauvaises herbes poussent à travers les bâches qui recouvrent une couche de gravier.

“Ça faisait peur. Il fallait imaginer le truc,” se souvient-t-il. Mais Gary, qui a “toujours eu la gnaque", accepte le défi.

“Maintenant, il faut assumer ce choix ; pendant 15 ans, il faut que j'envoie 150 parts par semaine pour être rentable,” calcule-t-il. En plein Covid, il entame le nettoyage et démarre sa production avec une quinzaine de parts pour deux AMAP en création : Villiers-sur-Marne et Paray.

“Il faut que j'envoie”

Alors qu'il est dans sa troisième année, Gary fournit 130 parts par semaine à quatre AMAP (l'AMAP H et les Paniers des Bordes dans le 94, et Les Trognons de la Nation et Les Prairies à Paris). Il emploie un salarié à mi-temps (Michael) et un apprenti (Thomas, en BPREA à Auxerre). Mais il souligne qu'il lui manque de la main-d'œuvre ; il lui faudrait un salarié autonome à plein temps — difficile à trouver dans une zone de grandes cultures. En attendant, Gary estime qu'il travaille 10 à 12h par jour, souvent sept jours sur sept, et qu'il est toujours en retard.

Entre les trois livraisons par semaine, Gary et sa petite équipe arrachent les restes de culture en fin de saison, préparent la terre, plantent, désherbent et récoltent. Ils sèment toutes les deux semaines, selon un rétro-planning qui inclut une trentaine de differents légumes et entre 50 et 70 variétés. “Tout est préparé des mois à l'avance,” dit Gary, notant que “la production la plus courte est les radis : 21 jours. Les choux et céleris raves sont assez longs : 8 mois. Ils sont plantés en mars et récoltés fin octobre-début novembre.” 

Gary imagine ses paniers par saison, mais de semaine en semaine et de jour en jour, c'est finalement une question de main d'œuvre — “il ne faut pas oublier qu'il me manque un salarié !”  —  et de ce qui est prét à être récolté. “Par exemple, cet été, j'étais obligé de mettre du chou-fleur parce qu'il a fait tellement chaud que les choux-fleurs ont commencé à partir en fleur. Mais j'essaie de mettre toujours une salade, un légume-feuille, au moins deux légumes-racines et au moins un légume-fruit." 

©Rebecca Bonthius

Pour les parts de récolte de l'AMAP Les Praires ce mercredi d'octobre, Gary et Thomas commencent leur journée par récolter des épinards. Après une hésitation avec la chicorée, Gary décide de récolter des Batavia, car leurs cœurs commencent à se serrer, indiquant qu'elles ne tarderont pas à monter à graine. Alors que Thomas arrose les caisses de légumes-feuilles pour qu'elles résistent à leur voyage en camion, Gary trie des courges dans le hangar. Il choisit 20 grosses et 40 petites pour Paris et enlève celles qui pourrissent. Ensuite il retire, d'un camion qu'il a transformé en chambre froide, des caisses de navets boule d'or, de radis blanc et de bettraves pour les peser. Cette fois, ces légumes de garde ne seront pas lavés, manque de temps et de main-d'œuvre : avant son départ pour Paris à 15h30, Gary doit “passer un coup de [cultivateur] canadien” pour préparer un terrain qu'il plantera le lendemain.

“Je prends note des demandes, et j'essaie de m'adapter,” dit-il. “On me demande souvent de mettre plus de pommes de terre et de carottes, mais ils ne se rendent pas compte que ces légumes sont durs à récolter. Puis je suis maraîcher ; je ne suis pas producteur de pommes de terre, ni de carottes. Je fais tout à la main.” Pour garder ce côté artisanal, il ne fait pas des haricots verts “parce que ce n'est pas rentable sans machine”.

“Je rendrai la pareille”

Convaincu par le système des AMAP, Gary imaginait des adhérents plus engagés et plus compréhensifs du partage des risques. “Mais j'ai encore l'espoir. Et si l'AMAP joue bien le jeu, je ferai bien attention à rendre la pareille.” Qu'est-ce qu'il attend des AMAPiens? “Les bases : avoir le nombre de parts de récolte ; puis venir au moins une fois par an à la ferme. Ce n'est pas grave si vous avez mal au dos, venez au moins pour voir !”

Il souligne que les deux “gros chantiers de chaque année” sont en automne, pour récolter les légumes avant les premières gelées et en juillet, quand le besoin de désherbage est à son pic : “Tu ne récoltes pas ce que tu sèmes, en vérité. Tu récoltes ce que tu désherbes, ce que tu entretiens. Puis il faut récolter au bon moment.”

Gary a d'autres projets en tête pour l'avenir, comme préparer la plus grande serre (“la chapelle") pour y cultiver l'année prochaine, planter une haie le long de la clôture et créer un verger. Côté personne, Il aimerait aussi faire plus de sport méditatif, mais surtout passer plus de temps avec sa fille de 4 ans, Léna — “la patronne” éponyme de sa ferme.

“La ferme, je le fais pour ma fille en premier. Je pense à demain, à ce que notre génération laisse derrière nous, à l'avenir de la planète, à ce que moi, je peux laisser à ma fille. Avec la ferme, je lui laisse tout pour vivre de manière autonome et autosuffisant. J'essaie de faire un petit havre de paix,” dit Gary.

C'est justement pour cette raison qu'il est pressé de quitter la distribution à 19h30 pile : il a de la route et aimerait rentrer avant que Léna ne dorme.

 

Par Rebecca Bonthius - texte et photos - AMAP Les Prairies (Paris 20è)

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