29 janv 2020
La ferme collective et coopérative, une solution d'avenir pour la paysannerie ?
Rendez-vous est pris le 7 janvier, bottes aux pieds, 7h à la Gare Montparnasse, direction l'Indre-et-Loire, pour le premier voyage d'études mixte amapien.ne/paysan.ne organisé par le Réseau AMAP Ile-de-France à la Coopérative paysanne de Belêtre.
Amapien dans le XVème arrondissement de Paris, j'accompagne Rémi, boulanger à la Ferme des Millonets dans le Val d'Oise. Via notre partenariat AMAP, Rémi me régale toutes les semaines avec un délicieux pain frais de petit épeautre, que je déguste avec un quelques tranches de radis daïkon et une pointe de beurre aux cristaux de sel à l'heure où j'écris ces lignes.
Objectif de la journée : découvrir les coulisses d'une ferme collective et coopérative ! Vaste et passionnant sujet …
Nous sommes accueillis sur la ferme par Mathieu, paysan boulanger et maraîcher et Olivier, de l'AMAP de Belêtre.
Mathieu nous met dans le bain d'entrée de jeu : « On entend trop souvent dire dans le monde paysan : "Il faut favoriser les reprises de fermes par des jeunes", et quand l’heure de la retraite arrive : "Je suis pour l'installation des jeunes, mais j’ai travaillé dur toute ma carrière, remboursé des emprunts, investi dans du matériel, et je vais avoir une très faible retraite", ma ferme vaut bien les 400 000 euros que j'en demande. Le jeune repreneur qui arrive, s’il veut s’installer, se voit donc contraint lui aussi à s'endetter pour racheter la ferme, et travailler encore plus pour s’en sortir à son tour avec une retraite insuffisante pour subvenir à ses besoins. Ah et au passage, la ferme aura pris 100 000 euros de "valeur" en plus, je vous laisse imagine l'endettement du "jeune" au bout de 5 générations. »
C'est face à ce constat que Mathieu, Lucie, Martin, Marion et Étienne, âgé.e.s de 28 à 39 ans, décident de créer en collectif début 2015 une société coopérative de production (SCOP) : la Coopérative paysanne de Belêtre. Pour cela, ils ont pu compter sur le soutien de l'AMAP des Belêtre, qui existe depuis 2008, et de Jean-Luc Desplat, éleveur paysan boulanger et propriétaire des terres sur lesquelles est installée la Coopérative.
Foncier et débouchés sécurisés, le nerf de la guerre !
La Coopérative porte toutes les activités liées à la ferme de Belêtre : production agricole certifiée AB et labellisée Nature et Progrès (maraîchage diversifié et activité de paysan-boulanger), vente à la ferme, groupements d'achats, AMAP, accueil pédagogique, formations. Où l'on commence à toucher du doigt la force du collectif …
En France, le nombre de SCOP dans le monde agricole se compte sur les doigts d'une main. C'est donc un choix innovant, mais aussi militant et sécurisant qu'ont fait les paysan.ne.s de Belêtre : la Coopérative permet d'éviter le piège du surendettement avec une transmission de ferme déconnectée du capital et assure la sécurité sociale (santé, chômage et retraite) des paysan.ne.s. Nos cinq jeunes paysan.ne.s sont à la fois associés, co-gérants et salariés, et donc co-décisionnaires et co-responsables. Les statuts prévoient que pour rejoindre la Coopérative en tant qu'associé-salarié co-gérant et accéder aux outils de production, il suffit d'un achat d'une part minimum d'une valeur de 50€ … on commence à bien appréhender ce militantisme qui anime ces jeunes paysans !
Dans les principes fondateurs de la Coopérative paysanne de Belêtre, ou retrouve les mots "expérimentation », « autogestion », « agriculture paysanne », « transformation sociale" et "éducation populaire, un doux mélange d'ambitions et de convictions !
Se donner les moyens d'une vraie organisation collective du travail
De l'aveu même de Mathieu, "le collectif en coopérative, c'est hyper riche, et ça créé aussi plein de frottements, c'est passionnant, mais il faut s'outiller".
Et par outillage, il ne fait pas allusion à une grelinette ou à un pétrin de hêtre mais bien à des outils de gestion du collectif : de la réunion de fonctionnement hebdomadaire avec point "météo perso" des associés au mandala holistique, en passant par le "séminaire" annuel en dehors de la ferme, les décisions prises en consentement, une méthode de répartition des tâches inspirée de la coopérative d'éducation populaire l'Engrenage, un outil informatique auto-développé pour la gestion du temps de travail sur la ferme, l'utilisation de logiciels de bureautique libres, … rien n'est laissé au hasard pour la gestion du collectif en respectant les fondements de la Coopérative.
Pour les féru.e.s des chiffres, quelques ordres de grandeur relatifs au activités de la ferme : 3 hectares de maraîchage diversifié, céréales sur 27 hectares, 87€ mois/part de légumes pour un total de 80 parts/120 paniers AMAP, 400 kg de pain/semaine, un chiffre d'affaire annuel de 200 000€ : 100 000 € pour la boulangerie, 80 000 € pour le maraichage, 3 000€ d'apport en capital par associé fondateur, 1 weekend sur 5 d'astreinte et 5 semaines de congés payés/an pour les 5 paysan.e.s, 50 enfants par journée d'accueil pédagogique, 1 bail rural pour les terres et bâtiments d'exploitation, 1 bail solidaire pour la longère lieux de vie collectif.
Ah et pour les plus "technos", en plus du superbe Aggrozouk auto-construit grâce à la SCIC l'Atelier Paysan, la Coopérative a récupéré au fil du temps une collection de vieux outils tractés mécaniques (pour la plupart fonctionnels !) qui ferait pâlir d'envie le Musée des cultures légumières à la Courneuve.
Pour terminer, un objectif ambitieux pour 2020 annoncé par Mathieu : limiter le temps de travail de chaque associé salarié à 30h/semaine, sans diminuer leur rémunération actuelle (SMIC 35h). 12 ans après le "travailler plus pour gagner plus", la Coopérative de Belêtre propose de "travailler moins pour vivre mieux", on vous laisse choisir votre camp …
Pour les plus curieu.ses.x , la Coopérative Paysanne de Belètre organise une fois par an une journée de formation à l'intention des porteurs de projet d'installation agricole. Prochaine date le 13 février 2020 à Doulus-le-Sec, pour plus d'informations : http://inpact37.org/fiche_formation.php?formation=330.
Raphaël, amapien et administrateur du Réseau AMAP IdF