10 oct 2023

L'urine humaine : l'engrais de demain ?
Retour sur le projet expérimental d'une AMAP

Dans le cadre d'une expérimentation, une AMAP collecte les urines de ses membres comme source d'engrais pour la ferme partenaire et les 1ers résultats sont probants... Votre AMAP serait-elle prête à y participer pour étoffer les données sur le sujet ?

« L'urine est une matière très intéressante pour l'agriculture »  m'explique l'un·e des membres d'une AMAP participant à une expérience de récolte d''urine pour servir d'engrais sur leur ferme partenaire.  C'est également ce qu'affirment des études menées sur le sujet. L'urine humaine contient la majorité des nutriments utiles pour l'agriculture, dont l'azote, le phosphore et le potassium. Son emploi en agriculture en tant qu'« urinofertilisants » (UF) a été démontré comme très intéressant et salubre (Esculier, 2018). Les UF font même l'objet de recommandations des bonnes pratiques de valorisation par l'OMS (OMS 2012a). Des chercheurs ont également montré que les agriculteurs n'ont pas forcément de réticence à utiliser l'urine dans leur travail (Brun, 2020).

Pourquoi l'utilisation de l'urine comme engrais agricole n'est donc pas plus répandue ?

Une première raison est historique et politique ; les sociétés industrielles ont linéarisé la gestion des nutriments et normalisé le tout-à-l'égout dans les zones urbaines et résidentielles. Ainsi, en tant que société, nous avons oublié la capacité fertilisante des déchets organiques humains (Mariwah et Drangert 2011). La deuxième est liée aux représentations et aux tabous autour des excréments humains auprès des consommateurs alors que les agriculteurs ont l'habitude de manipuler des matières peu « nobles » comme les lisiers ou les fumiers animaux. Ces représentations sont souvent considérées comme des éléments fondamentaux dans le choix des agriculteurs de ne pas utiliser des produits à base d'urine comme fertilisants [Drangert op. cit. ; Khalid 2018]. Puis, il y a la question souvent soulevée des résidus pharmaceutiques. La caféine, l'ibuprofène et le paracétamol sont les trois substances d'origine humaine que l'on retrouve le plus dans l'urine, loin devant les hormones. Il reste encore des études à faire sur la durée de vie des certains métabolites. Des études de nos voisins scandinaves montrent des résultats intéressants, mais doivent être approfondies dans un contexte opérationnel français (Gómez-Muñoz et al. 2017).

Aujourd'hui, il reste deux obstacles majeurs à l'utilisation des urines comme fertilisant : la réglementation et les infrastructures. Effectivement, la législation française interdit l'utilisation de l'urine dans tout type de culture biologique, mais l'autorise comme engrais alternatif dans les filières conventionnelles. Si la réglementation venait à changer, comment pourrait-on organiser la récolte, le transport, la distribution d'urine depuis des zones résidentielles aux zones agricoles ? Est-ce aux services privés ou publics d'assurer ce travail ? Est-ce que le réseau d'assainissement classique pourrait se charger de la tâche ? Sur toutes ces questions, la recherche doit continuer son travail et aussi la communication de ses expériences et résultats.

L'AMAP : terrain d'étude pour la recherche

C'est justement par le biais d'une AMAP que des chercheurs ont fait le lien entre le monde universitaire et le terrain (programme de recherche-action OCAPI). Depuis leur création, les AMAP représentent des espaces d'expérimentation de modèles et d'idées perçus comme alternatifs ; ce projet n'en est que la continuation. La mise-en-place d'un système de récolte de l'urine via une AMAP a connu plusieurs étapes. Au début, une dizaine de familles sur la cinquantaine de l'association a participé à une première phase test. Les participants récoltent et stockent leur urine avec des objets simples conçus à cet effet. Une designeuse a travaillé dans le projet afin de créer des outils élégants et faciles à utiliser pour récolter l'urine et la stocker sans gêne. Lors des distributions de l'AMAP, les participants centralisent leurs réserves permettant à l'agriculteur de ramener cette matière organique sur son exploitation. Cet agriculteur a commencé par utiliser l'urine pour enrichir ses cultures de fleurs et de céréales. Puis, il a entamé une deuxième phase de l'expérience, actuellement en cours. Il a commencé à enrichir de façon expérimentale sur quelques rangs alloués au maraîchage, précisément des légumes racines et ceux dont le légume ne touche pas le sol (ces légumes ne se retrouvent pas dans les paniers). L'amapien·ne que j'ai rencontré souligne l'importance de la pédagogie de l'agriculteur et aussi de la simplicité des objets servant à la récolte de l'urine. Dans son AMAP, de plus en plus de familles participent au projet et c'est devenu une habitude évidente parmi ceux qui ont commencé dès le début.

L'expérience de cet agriculteur confirme les études sur le sujet : l'urine est équivalente voire meilleure que les engrais azotés d'origine synthétique. Il est plus facilement absorbé par les plantes et il contient du phosphate en plus de l'azote. L'urine, et les matières organiques au sens large, pourrait aussi représenter une alternative naturelle, accessible et peu chère, aux engrais de synthèse développés à partir de ressources fossiles et sujettes aux aléas géopolitiques et économiques. A savoir qu'en région parisienne par exemple, les nutriments présents dans l'urine des 12 millions d'habitants de la métropole pourraient couvrir la totalité des besoins en azote et la moitié du phosphore actuellement épandu dans les champs (Martin et al., 2020). Est-ce que la crise géopolitique et la crise environnementale pourraient contribuer à la redéfinition de notre relation aux déchets organiques ?

L'acceptation du public est indispensable pour influencer la question réglementaire, nécessaire pour un changement d'échelle et pour l'organisation d'infrastructures de collecte. Cette expérience d'une AMAP pourrait être un premier pas, mais elle n'est pas reconnue par le label en agriculture biologique. Pourtant l'urine est une matière abondante, gratuite, sans extraction dévastatrice pour l'environnement et les sociétés humaines, est un engrais sain et efficace. Les AMAP, en tant que réseau et mouvement, pourraient porter cette alternative et transmettre sa signifiance,  apportant ainsi une pierre à toute l'agriculture du XXIe siècle. Une possible prochaine étape serait que d'autres AMAP adhèrent et s'impliquent dans l'expérience de revaloriser ce que nous considérons aujourd'hui comme un déchet tabou à une ressource féconde afin de boucler la boucle des nutriments….

Seriez-vous prêt·e à en parler autour de vous ou dans votre AMAP ?

Par Julie Jacquet, administratrice du Réseau AMAP idF

Article modifié le 18/10/2023

Bibliographie

  • Florent, Brun, Steve Joncoux, Bernard de Gouvello et Fabien Esculier. 2020. « Vers une valorisation des urines humaines », Études rurales, 206.
  • Esculier, Fabien, 2018, Le système alimentation/excrétion des territoires urbains : régimes et transitions socio-écologiques. Thèse de doctorat en sciences de l'environnement. Champs-sur-Marne, École des Ponts Paristech.
  • Gómez-Muñoz, Beatriz, Jakob Magid et Lars Stoumann, Jensen. 2017. « Nitrogen turnover, crop use efficiency and soil fertility in a long-term field experiment amended with different qualities of urban and agricultural waste », Agriculture, ecosystems & environment 240 (1) : 300-313.
  • Mariwah, Simon et Jan-Olof Drangert. 2011. « Community perceptions of human excreta as fertilizer in peri-urban agriculture in Ghana ». Waste management & research 29 (8) : 815-822.
  • Martin, Tristan M. P. et al., 2020, « Human urine-based fertilizers: A review » Critical Reviews in Environmental Science and Technology.
  • OMS. (2012a.). Directives OMS pour l'utilisation sans risque des eaux usées, des excrétats et des eaux ménagères. Vol IV Utilisation des excrétats et des eaux ménagères en agriculture. Ed. OMS.

Crédit Photo : Freepik

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