29 juil 2020
L'arboriculture en Ile-de-France : résultat de 6 mois d'enquête
Un déclin de la production dans une terre de vergers historique et une forte demande en fruits
Pêches de Montreuil, cerises de Montmorency, figues d’Argenteuil : au XVIIème siècle, l’Île-de-France regorgeait d’une diversité d’espèces et de variétés fruitières dignes d’un mois de juillet dans la Drôme. A l’époque, nul besoin d’importer des fruits espagnols, l’Ile-de-France était une véritable région agricole orientée vers l’alimentation des parisiens. La forte demande urbaine a entraîné la création de terroirs fruitiers autour de la ville, à une époque où les moyens de transport ne permettaient pas d’acheminer ces produits de luxe tant prisés par les élites.
Depuis, la pression urbaine s’est intensifiée, les moyens de transport et les techniques de conservation et de transformation se sont développés, ouvrant la concurrence avec d’autres régions et pays : autant de facteurs expliquant le déclin de la production.
Ainsi, entre 1970 et 2010, les surfaces en vergers et petits fruits ont régressé de près de 80 % ! A ce jour, on recense une soixantaine d’arboriculteur·rice·s réparti·e·s sur moins de 900 hectares. Les pommiers et poiriers représentent la grande majorité des espèces cultivées .
De plus, les enjeux d’installation et transmission sont particulièrement préoccupants : ils et elles sont près de 3 sur 5 à avoir plus de 55 ans et la moitié n’a pas de repreneur identifié…
Parallèlement à cet effondrement de la production, on observe une importante demande des francilien·nes et notamment des amapien·ne·s en fruits bio et locaux. Moins de la moitié des AMAP ont un partenariat fruit et/ou jus avec des arboriculteur·rice·s francilien·ne·s (environ 150 sur 360 groupes), et nombreux sont ceux qui sont en recherche.
Il n’en fallait pas plus au Réseau AMAP IDF pour initier une étude sur l’arboriculture francilienne ! L’objectif : réaliser un état des lieux des arboriculteur·rice·s, identifier les freins et leviers à l’installation-transmission et favoriser les installations en arboriculture avec le soutien des AMAP.
En février, me voilà embarquée pendant 6 mois pour une mission de terrain à la rencontre de cette espèce en voie de disparition – enquête qui se révélera plus virtuelle que de terrain au gré des imprévus planétaires… Bibliographie, rencontres avec des acteurs para-agricoles, entretiens avec des arboriculteur·rice·s en AMAP, bio, conventionnels, hors IDF, des paysan.ne·s en diversification, des amapien.ne.s : au total une cinquantaine d’entretiens qui se suivent et ne se ressemblent pas.
Quels sont les freins et leviers à l’installation et la transmission ?
Les spécificités agronomiques et techniques de l’arboriculture
En arboriculture, les indices de traitement phytosanitaires sont particulièrement importants.
En production biologique, le rendement est certes moindre et de nouveaux ravageurs apparaissent avec le dérèglement climatique mais ils sont dans l’ensemble contrôlés grâce aux techniques de prévention et aux produits phytosanitaires autorisés en bio.
En revanche, les aléas climatiques apparaissent comme une difficulté majeure. La particularité des arbres fruitiers est qu’ils donnent une unique récolte par an. Il est alors plus difficile pour les arboriculteur·rice·s de supporter d’importants aléas climatiques : gel, grêle, sécheresses...
Les sécheresses estivales deviennent de plus en plus fréquentes et l’irrigation semble essentielle pour nombre d’entre eux. Pour plus de la moitié des arboriculteur·rice·s rencontré·e·s, les gelées printanières occasionnent des pertes importantes, pouvant aller jusqu’à 95 % de la récolte !
Parce que les équipements anti-gel et les aides pour faire face aux aléas climatiques ne sont pas toujours une solution, l’avenir de l’arboriculture réside peut-être dans la diversification...
Petits fruits, céréales, maraîchage, élevage : les possibilités sont multiples. A titre d’exemple, l’élevage de poules ou de brebis est complémentaire puisque les arbres donnent de l’ombrage et de la nourriture aux animaux qui eux-mêmes jugulent la quantité des ravageurs et amendent les pieds des arbres.
Pour gérer la surcharge de travail engendrée, une embauche supplémentaire ou une installation en collectif sont à considérer.
• Viabilité & Vivabilité
La diversification des ateliers agricoles est également un moyen de répondre à un deuxième enjeu spécifique à l’arboriculture : le retour sur investissement tardif. En effet, il faut attendre 3 à 5 ans après la plantation pour les premières récoltes, or les investissements en matériel et bâtiment (tracteur, pulvérisateur, hangar etc.) se font dès l’installation.
En diversifiant ses activités, le temps d’attente avant la récolte et les gelées ne sont plus un problème : on peut toujours compter sur les légumes ou les œufs.
• Le territoire francilien
Le peu d’activité arboricole sur le territoire francilien se traduit par un réseau d’arboriculteur·rice·s peu développé, rendant difficile les échanges et la coopération entre fermes. De la même manière, la formation initiale et l’accompagnement technique sont insuffisants : ainsi, il n’y a plus de conseiller arboricole à la Chambre d’Agriculture.
Toutefois, le réseau des arboriculteur·rice·s biologiques se structure grâce au Groupement d’Agriculteurs Biologiques IDF qui organise des formations, partages d’expérience, lettres d’informations etc. Et pour donner envie à des porteur·se·s de projet de s’installer, les arboriculteur·rice·s ont insisté sur la forte demande en fruits locaux des Franciliens.
Et les AMAP dans tout ça ?
Du côté des paysan·ne·s, l’AMAP représente un soutien très important, sans laquelle certain·e·s auraient mis la clé sous la porte. La logistique des livraisons est plus ou moins difficile à gérer selon le nombre d’AMAP.
A l’instar des autres productions hors-maraîchage, les entretiens ont mis en évidence certains éléments pouvant remettre en cause l’éthique du modèle AMAP dans les partenariats fruits. Le prix du panier est très rarement calculé selon la méthode du partage de récolte, certains contrats sont plus proches des commandes groupées, les dates de début de contrat et les quantités fixes permettant rarement aux amapien.ne.s de soutenir leur paysan.ne face aux aléas climatiques.
Les connaissances des amapien·ne·s sur l’arboriculture et le degré d’engagement sont en réalité très variables selon les groupes. Certain·e·s ont à cœur le partage des risques et des bénéfices et se soucient d’un prix rémunérateur, dans l’esprit de la Charte des AMAP. D’autres ont une moindre connaissance des aléas de production et n’ont pas engagé de réflexion sur le calcul du prix et la définition du contrat.
Quoiqu’il en soit, la grande majorité des AMAP joue le jeu quand leurs paysan.ne·s sont en difficulté. Différents mécanismes de solidarité ont été recensés : des contrats signés pour des corbeilles de fruits vides ou quasi-vides, des contrats revus en diminuant le nombre de paniers et augmentant le prix, des cagnottes solidaires, un fonds de solidarité au sein de l’AMAP etc.
Malgré tout, le Réseau AMAP IDF est conscient que le coût des aléas de production ne doit pas peser sur les épaules des seul·e·s amapien·ne·s. Sur le long terme, ces solutions peuvent nuire au principe d’accessibilité qui est au cœur de l’esprit AMAP. Les mécanismes de solidarité financiers doivent s’insérer dans une dynamique de plaidoyer politique, et pourquoi pas dans une réflexion de fond à mener sur l’idée d’une mutuelle régionale de solidarité…
Quelle suite donner à cette étude ?
Pour l’instant, différentes fiches thématiques sont en cours d’élaboration :
- « Etat des Lieux » et « Freins et Leviers » à destination tout-public et notamment aux acteurs institutionnels pour faire faire du plaidoyer
- « Arboriculteur, pourquoi pas moi ? » à destination des porteur.se.s de projet
- « Mon partenariat fruit » pour sensibiliser les amapien·ne·s sur les spécificités de l’arboriculture et penser un contrat solidaire
- Quatre portraits paysan.ne·s avec des profils différents : 100 % fruits, double actifs, en diversification grandes cultures, maraîchage etc.
Ces fiches vous seront présentées à la rentrée !
Affaire à suivre…
Par Ninon, en stage de fin d’études sur l’arboriculture