31 août 2021

L'AMAP, une évidence ? A la rencontre de fermes franciliennes pour débattre de la question

Depuis plusieurs années, le Réseau AMAP Ile de France accompagne les groupes et les fermes en AMAP pour construire des partenariats qui respectent le cadre éthique et légal du modèle AMAP. Du fait d’aléas et de contraintes différentes du maraîchage, il est plus délicat pour les activités arboricoles, avicoles, d’élevage ou encore céréalières, de construire des partenariats AMAP solides et solidaires : multiplication des partenariats pour écouler la production, logistique compliquée, temps de présence aux distributions réduit, lien avec les amapiens plus difficile à établir …

Nous sommes donc parti·e·s fin juin 2021 à la rencontre de 5 fermes de Seine et Marne dans le cadre de la 3e édition du voyage d’études amapien. L’objectif du voyage : s’interroger sur ce qui pousse des fermes à choisir l’AMAP comme mode de commercialisation et ce qui, à l’inverse, les pousse à s’en détourner ou à diversifier leurs circuits de commercialisation.

Bruno et Katia Fleury, paysan·ne·s boulanger·ère·s qui ont su maintenir l’AMAP comme principal débouché

Bruno et Katia Fleury exercent le métier peu répandu dans notre région de paysan-boulanger. Issu d’une famille de céréaliers, la ferme a été transmise à Bruno par ses parents en 2000. Elle a réduit de taille au début des années 1990, suite à des reprises de terre par la famille. Elle fait aujourd'hui 55 ha, contre 150 ha en moyenne pour les fermes de Seine-et-Marne.

Bruno a converti sa ferme à l'agriculture biologique en 2013. Cela s'est fait « naturellement ». Depuis 2015, sa femme et lui ont lancé une activité de boulangerie pour renforcer la rentabilité de la ferme en vendant un produit transformé, le pain, qui a une plus grande valeur ajoutée que la farine et les céréales. Bruno et Katia maitrisent donc l’intégralité du processus sur la ferme, de la culture des céréales, à la confection et à la vente du pain, en passant par le tri, le décorticage et le moulage des grains.

La quasi-totalité des pains confectionnés par Katia est commercialisée en AMAP. Avec plus de 40 AMAP, la gestion des différents partenariats et les livraisons représentent une charge de travail conséquente. L’un des deux employés de la ferme consacre donc toutes ses après-midis aux livraisons. En échangeant avec Bruno, on constate les impacts de ce grand nombre de partenariats. Il est difficile pour lui d’avoir une relation de proximité avec ses différentes AMAP ou d’être présent aux AG par exemple. Concernant les mécanismes de solidarité, les modalités de ses partenariats ne permettent pas de prendre en compte les aléas de production qu’il peut rencontrer dans sa production de céréales.

Les terres sont cultivées avec un système de rotation tous les deux ans. En plus de la culture des céréales classiques (blé, épeautre et petit épeautre), Bruno a initié un grand chantier de diversification des cultures (lentille, cameline, seigle, sarrazin etc.) avec des expérimentations plus ou moins concluantes, qu’il n’a donc pas toujours maintenues. Bruno a introduit l’élevage sur la ferme en élevant des Highlands puis des Salers ; une évidence selon lui pour avoir une ferme biologique céréalière cohérente et viable. Dans le cycle de rotation de ses terres, les bovins valorisent les terres sous couvert végétal. En pâturant sur ces terres, les bêtes participent à la fertilisation des sols, et la valorisation de la viande apporte des revenus supplémentaires à la ferme. La majorité de la viande est distribuée via ses AMAP, non sans difficultés logistiques et organisationnelles.

Dans l’objectif d’avoir une ferme cohérente et pérenne, les idées de diversification ne cessent de germer chez Bruno (transformation de la farine en pâtes, introduction des volailles) ! Projets qui se confrontent bien sûr aux réalités : temps, investissement, main d’œuvre...


Bruno et Katia Fleury - Ferme de Fontenelle

Camille et Nicolas Grymonprez, éleveur·euse·s laitière·s qui se sont éloignés du modèle AMAP vers la vente à la ferme

Après avoir assisté à la sortie des pains du four par Katia et Bruno, notre petite troupe d’amapien·ne·s se dirige vers la ferme laitière de Sainte-Colombe. Nous sommes accueilli·e·s par Camille qui s’est installée sur cette ferme en 2016 avec son mari.

Si Nicolas est issu d’une famille d’éleveur·euse·s de porcs en conventionnel, Camille opère un virage en quittant son métier d’éducatrice auprès de personnes en situation de handicap pour se consacrer à la transformation et la commercialisation des produits de la ferme.

Sur 100 hectares, 60 sont dédiés au pâturage des 90 bêtes, et 40 sont mises en cultures céréalières pour alimenter les vaches pendant l’hiver. Nicolas a mis en place un pâturage agro dynamique : le champ est séparé en petites parcelles, qui sont broutées par rotation de 24 heures, ce qui permet la fertilisation du sol avec un broutage de 21 jours qui n’abîme pas les terres. La fromagerie, sur la ferme, produit entre autres du beurre, de la tomme, du brie. La vente du lait brut simple n’est pas viable financièrement, sa transformation en beurre ou fromages assure une plus grande rentabilité de la ferme.

Les débouchés sont multiples : vente à la ferme, AMAP, coopérative et Ruche qui dit oui. Si les AMAP ont constitué l’un des débouchés principaux de la ferme pendant un temps, Camille a décidé de réduire le nombre de partenariats AMAP en passant de 21 à 5 AMAP (qui représentent toutefois toujours 20% des ventes). La distance et le grand nombre de distributions à assurer lui demandaient de passer trop de temps sur la route et aux distributions. Elle trouvait aussi difficile d’entretenir de vraies relations d’échanges et de soutien avec les amapien·ne·s.

En comparaison, la vente à la ferme qui représente 30% des ventes, reste le débouché le plus rentable pour la ferme, avec toutefois des fluctuations importantes (chute des ventes depuis le déconfinement). La vente aux Biocoop n’est quant à elle pas très rentable du fait des marges que les magasins prennent. Pour faciliter le travail de commercialisation, l’objectif est donc de développer au maximum la vente directe à la ferme pour limiter le temps dédié aux livraisons.

Enfin, le passé d’éducatrice de Camille se traduit aujourd’hui dans le fonctionnement de la ferme qui est un lieu d’accueil pour des personnes en situation de handicap afin de les familiariser à l’élevage paysan.

15 amapien·nes en visite à la ferme Sainte Colombe

Xavier Fender, d’une ferme maraichère 100% AMAP à une diversification des débouchés

Pour terminer notre première journée de visites, direction la ferme des Limons de Toulotte de Xavier Fender. Très bien intégrée dans son petit village, cette ferme offre un accueil particulièrement chaleureux en cette fin de journée bien chargée.

Anciennement horticulteur et paysagiste, Xavier a effectué une reconversion professionnelle pour devenir maraicher, accompagné par Abiosol. Il s’est installé en 2015 sur des parcelles de 4 hectares qui étaient cultivées en agriculture conventionnelle. Aujourd’hui, en plus de la production de légumes, 350 arbres fruitiers ont été plantés.

Lors de son installation, Xavier a fait le choix de commercialiser la quasi totalité de sa production en AMAP, selon le système de partage de récolte : l’intégralité de la récolte est partagée entre le nombre d’amapien·ne·s. Lorsqu’il reste une quantité trop faible d’un légume pour en mettre à l’ensemble de ses amapien·ne·s, celle-ci est vendue grâce au petit magasin qu’il y a sur la ferme.

Toutefois, dès son installation, Xavier avait pour projet de travailler avec des restaurateurs : pour relever le défi des attentes élevées de ces derniers et pour répondre à leur besoin sur des productions à haute valeur ajoutée qu’il ne serait pas en mesure de produire en quantité suffisante pour ses AMAP. Actuellement, 75% de sa récolte est livré à 4 AMAP, le reste étant vendu à 4 restaurateurs parisiens. Cette évolution a été faite en toute transparence avec ses AMAP avec lesquelles il entretient de très bonnes relations. Xavier cherche à mettre en place un partenariat engageant avec les restaurateurs en s’inspirant du modèle AMAP.

Depuis l’année dernière, Thomas, déjà salarié sur la ferme depuis quelques années, est devenu associé de Xavier. On leur souhaite une belle aventure !

Les serres maraîchères des Limons de Toulotte

Marc Chauvin, aviculteur en AMAP : les intérêts et les contraintes de l’AMAP pour cette production particulière

Après une soirée (au "Diapason" et à la guitare !) et une nuit dans le gite de la ferme pédagogique de la Bergerie à Cerneux, nous sommes en route vers La Tombe pour découvrir l’élevage de volailles de Marc Chauvin.

En 2009, Marc a repris la ferme familiale dans laquelle ses parents s’étaient installés en 1967. Actuellement, il travaille sur la ferme avec sa femme et 3 salarié·e·s. Sur une surface agricole utile de 30 hectares, ils ont fait le choix d’élever des poules pondeuses, des poulets de chair et de produire des légumes de pleins champs. Si la diversification des activités de la ferme complique le travail, elle assure une plus grande résilience à la ferme en cas d’aléas.

La ferme a de nombreux circuits de commercialisation avec une vingtaine d’AMAP et des livraisons auprès de magasins, de restaurants d’entreprise, de boucherie, etc. Les produits de la ferme alimentent aussi la Coop Bio Ile-de-France,coopérative dans laquelle Marc est très investi. Avec plus de 80 producteur·rice·s et 120 sociétaires, elle permet de livrer la restauration collective.

Marc et ses poussins

A la différence des magasins qui prennent contact directement avec lui, les partenariats AMAP sont plus long à mettre en place. Si les AMAP permettent d’avoir une visibilité sur les ventes à venir et de sécuriser la trésorerie, la spécificité de sa production implique des contraintes pour les partenariats AMAP. Le grand nombre de partenariats AMAP, nécessaire pour écouler la production, rend impossible le fait de rester aux distributions. Cela implique un travail de communication en dehors du temps de la distribution, avec notamment une présence quasi systématique de Marc aux assemblées générales de ses AMAP. Le lien avec les amapien·ne·s se crée aussi lors des ateliers et des visites de la ferme.

La date d’abattage doit être synchronisé avec la date de distribution des AMAP. Pendant l’été, il a été décidé d’arrêter les livraisons d’œufs avec les départs en vacances des amapien·ne·s. Or, les œufs sont produits tous les jours par les poules ce qui implique pour Marc de trouver un autre débouché pour ses œufs à cette période.

Les élevages avicoles font face à de nombreux aléas potentiels : confinement obligatoire une partie de l’année à cause de la grippe aviaire (source de stress, de hausse de la mortalité et de diminution de la production), carence, problèmes sanitaires etc. Or, les expériences racontées par Marc ont montré que les AMAP n'ont pas toujours été compréhensives face à ces aléas. Lorsqu’il a rencontré un grave problème sanitaire il y a quelques années, certaines AMAP ont arrêté leur partenariat alors que la ferme avait toujours des frais fixes (prêts, salarié·e·s) à payer. 

Enfin, les contrats volaille en AMAP posent des questions quant à la manière de fixer le prix. Dans une logique de partage de récolte, il faudrait fixer un prix de poulet à la pièce. En effet, alors que l’alimentation des poulets a un coût fixe, le poids du poulet peut varier. Or, le plus souvent le prix du poulet est fixé au kilo ce qui n’intègre pas le coût fixe pour élever un poulet, indépendamment du poids final de la bête. (Cf. notre fiche sur le sujet)

Pique-Nique (et petite baignade) dans la Seine entre deux visites

Anne Rollin, Florian Gamé et Geoffroy Gamé, une ferme en AMAP historique pour des retours d’expériences variés sur le modèle AMAP

Pour finir ce voyage d’études, nous nous dirigeons vers la ferme briarde de Chaillois, perchée tout en haut du village de Thénisy. Anne Rollin, Florian Gamé et son frère Geoffroy sont associés à parts égales en EARL pour produire et distribuer des légumes, des céréales et de la farine. Pascal, le père de Florian et Geoffroy a transmis cette ferme familiale de plusieurs générations. L’activité de la ferme est en continuelle évolution et elle a débutée en 2008 par l’implantation du maraîchage sur cette ferme céréalière.

Florian et Anne sont arrivé·e·s sur la ferme en 2007 après avoir travaillé·e·s dans le secteur social et associatif; ils décident de tenter l’aventure du maraichage bio. Anne découvre le système AMAP dans un café de producteurs à Dijon. Lors de leur installation, l’AMAP constitue pour eux une évidence.

Très vite le couple a fourni en maraîchage les 4 groupes actuels avec une pointe de 135 paniers. Actuellement, Anne gère l’activité maraîchage avec deux salariés pour 115 paniers en AMAP qui permettent d’écouler 80% de la production. Le reste est écoulé grâce à la vente à la ferme et à des magasins bio. En tant que paysanne en AMAP des premières heures, Anne a un recul très intéressant sur ses partenariats AMAP. Après 15 ans de partenariat, elle constate que la communication pour maintenir un lien avec les AMAP se fait plus difficile avec les années lorsqu’une routine s’est installée. Pour Anne, il est essentiel que les membres des bureaux d’AMAP ne se résument pas à être des gérant·e·s de liste mais qu’ils·elles entretiennent le militantisme des amapien·ne·s. De plus, s’il est facile de mobiliser les amapien·ne·s lors des périodes d’installation, elle trouve qu’avec le temps il est plus difficile de rendre enthousiasmantes les évolutions de la ferme.

Au maraîchage vient se greffer d’autres activités. En 2009, la passation progressive en bio des cultures céréalières s’est imposée. Cette activité est gérée par Florian, aidé par son père Pascal pour les périodes plus intenses. En 2016, la construction d’un hangar sur la ferme a été incontournable pour stocker au minimum la charge d’une semi-remorque. Ce chantier a nécessité un investissement financier, en temps et moral très conséquent.

Ce hangar abrite aussi un nouveau projet : la meulerie. Geoffroy est devenu le 3ème associé en 2014. Il a quitté son activité de salarié dans la téléphonie mobile pour embrasser cette activité de meunier. En 2020, Geoffroy a moulu 53 tonnes (T) de céréales qui produisent 47 T de farines. Il s’agit de blés, épeautre, petit-épeautre et sarrasin. La commercialisation est en majorité auprès des boulanger·ère·s, pizzerias…et 15 % en AMAP : 6 groupes dont 4 communs avec le maraîchage. Geoffroy ne conçoit un partenariat farine en AMAP que si le lien social avec les amapien·ne·s est fort. Ces partenariats sont plus faciles à nouer avec les AMAP avec lesquelles Anne est déjà en partenariat sur le maraichage, notamment grâce à la mutualisation des distributions et à la fréquence plus régulière d’échanges avec les amapien·ne·s. De plus, pour être vraiment rentable il faudrait distribuer 60 AMAP, avec un rythme de 2 distributions par jour. Cela pose des questions quant à la qualité du lien qui peut être noué avec un nombre aussi important d’amapien·ne·s, et c'est inenvisageable pour Geoffroy.

Anne Rollin (à gauche) nous raconte son histoire de maraîchère

Le dynamisme et la vision politique et militante de nos trois paysan·nes clôturent en beauté ces 2 journées intenses et riches, où l'accueil, le temps consacré et la manière dont ils et elles se sont racontées, resteront gravés chez les amapien·nes présent·es comme chez les deux salarié·es.

Par Astrid, salariée du Réseau, avec la contribution de tous les amapien·nes présent·es

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