31 mars 2021
Genre et agriculture : et si on parlait équipement agricole et auto-construction ?
Le lundi 15 mars 2021, le Réseau a organisé avec l’Atelier Paysan et l’Ecole Du Breuil une soirée d’échanges sur l’auto-construction et le genre, principalement à destination des porteur·euse·s de projet agricole. Cette soirée avait pour objectif de questionner le rapport des femmes au machinisme, à la technique et à l’auto-construction dans un milieu marqué par les inégalités femmes-hommes.
Cette soirée initialement prévue à l’Ecole du Breuil en janvier a finalement eu lieu en visioconférence en mars, en présence d’une trentaine de participant.e.s, principalement des femmes. Quizz, sondage, répartition en groupes de discussion, nous avons tout fait pour préserver la convivialité de la rencontre.
Des inégalités femmes-hommes criantes en agriculture
Le Réseau AMAP IDF a ouvert la soirée en faisant un point sur les inégalités hommes-femmes en agriculture. Qu’il s’agisse de statut sur l’exploitation, de répartition des tâches domestiques et agricoles, de la retraite, les inégalités sont criantes. Le congé maternité représente un enjeu particulier. Saviez-vous par exemple que les femmes paysannes n’ont eu accès qu’en 2008 à la même durée de congé maternité que dans le régime des salariées ?
Ces inégalités sont la principale raison pour laquelle le Réseau AMAP IdF, en tant qu’association promouvant une agriculture émancipatrice et solidaire, travaille sur cette question depuis plusieurs années : temps d’échange, étude, théâtre-forum, podcast, documentaire pour connaître les femmes paysannes et les difficultés d’installation qui leur sont propres. Le groupe des Josiannes (JOyeuses et SIngulières paysANNES) s’est d’ailleurs créé suite à des échanges entre paysannes, pour faciliter les échanges et l’entraide entre femmes paysannes et avec les porteuses de projet.
Le rapport à l’équipement agricole pour les paysannes
Après cette mise en bouche, nous avons posé la question suivante aux participant·e·s : « Sur une échelle de 1 à 10, quel est votre rapport à l’outil et à l’équipement agricole dans votre parcours ? » Des échanges en petit groupe de 3-4 personnes, il ressort sans surprise que c’est un domaine qui reste très genré et traditionnellement assigné aux hommes. Mais certaines femmes ne ressentent pas de difficultés liées au genre dans ce domaine et expriment surtout une forte envie d’apprendre et d’expérimenter.
Repenser la technique et l’outillage agricole
A la suite de quoi nous sommes rentré·e·s dans le vif du sujet grâce à Morgane, animatrice nationale de l’Atelier Paysan, qui a présenté un état des lieux sur les questions de genre et de technique en agriculture. L’Atelier Paysan est une coopérative d’intérêt collectif qui accompagne les agriculteur·rice·s dans une démarche d’éducation populaire à repenser la technique et l’outillage agricole dans une optique d’autonomie paysanne et de réappropriation des savoir-faire.
La technique en agriculture demeure un domaine marqué par les inégalités et les stéréotypes de genre. Les tâches agricoles sont traditionnellement genrées, avec de nombreuses femmes prenant en charge les activités de vente ou de transformation et s’occupant des animaux et une forte prédominance d’hommes dans la conduite du tracteur et la réparation des outils. Les hommes quant à eux conduisent le tracteur et réparent les outils. Ainsi, l’Atelier Paysan estime une participation des femmes à ses formations à l’auto-construction à hauteur d’1/3 ou ¼ des participant·e·s, celles-ci étant encore moins présentes en recherche et développement (moins de 5%).
Du matériel pensé par et pour des hommes
Quant au matériel, il est pensé par et pour des hommes. Les outils ne sont pas adaptés à la morphologie des femmes. Parfois, certains équipements individuels de protection (EPI), n’existent pas en petite taille adaptée à certaines femmes, par exemple les gants de travail et de soudure, ce qui pose des problèmes de sécurité !
Il arrive qu’un sentiment de manque de légitimité ou d’appréhension vis-à-vis de l’outillage puisse conduire les femmes à avoir des fermes moins équipées et moins mécanisées, avec un potentiel impact sur leur santé.
Le projet MCDR Usager·e·s de l’Atelier Paysan vise précisément à adapter le matériel aux besoins des femmes, avec et par les principal·e·s concerné·e·s. Par exemple, au CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) d’Ille-et-Villaine, un repousse-fourrage a été pensé par des éleveuses bretonnes pour réduire la pénibilité des tâches. Le format de la non-mixité a été choisi pour certaines formations afin de garantir un cadre d’échanges plus sécurisant.
Des avancées conduites par les femmes
Les premiers retours de ce travail en cours montrent des éléments intéressants : certaines femmes ont mis au point des innovations qui bénéficient aux hommes. La masculinité est basée sur des stéréotypes virilistes, mettant en avant la force. Certaines femmes vont réfléchir à des outils plus ergonomiques pour elles peut-être moins lourds, mais qui seront in fine utilisés par les hommes ! L’Atelier Paysan va poursuivre sa réflexion sur le sujet : en organisant des formations mixtes avec des formatrices femmes et peut-être en proposant à des groupes d’autres formations en non-mixité.
Yseult, maraîchère en Seine-et-Marne et administratrice du Réseau, était également présente pour témoigner de son rapport à l’outillage et à la construction. Elle a participé à plusieurs formations de l’Atelier Paysan et a construit un aggrozouk, un « véloculteur » qui permet de travailler le sol en surface.
Son intervention était tout à fait encourageante : elle a commencé par préciser qu’elle n’aurait jamais imaginé faire de la soudure 5 ans auparavant. Aujourd’hui, elle maîtrise cette technique, elle adore ça et déborde d’idées pour auto-construire de nouveaux outils avec son associé. D’ailleurs, sur sa ferme les stéréotypes de genre sont inversés : elle est plus grande que son associé et les outils sont parfois plus adaptés à sa taille ! Du point de vue d’Yseult, certes l’auto-construction mobilise beaucoup de temps, qui est une denrée rare en agriculture, néanmoins c’est un investissement durable et épanouissant qui vaut la peine.
La soirée s’est achevé sur un temps de questions-réponses. Une participante témoignait à regret que les hommes n’étaient pas très pédagogues dans leur manière de transmettre leur savoir-faire : certains font à la place au lieu d’expliquer… Une étudiante en BPREA s’insurgeait contre le fait que les équipements féminins soient roses et à motifs floraux. Une porteuse de projet cherchait à savoir s’il existait une procédure pour améliorer les outils déjà existants, pour pouvoir les adapter aux gabarits des hommes et des femmes.
Bref, des échanges riches qui ont soulevé des questionnements sur l’installation auprès de porteur·se·s de projet et qui alimenteront les réflexions futures pour que les femmes puissent s’approprier l’auto-construction !
Par Ninon, salariée du Réseau AMAP IdF