30 juin 2021
Femmes paysannes : une rencontre inter-associative pour saisir les freins et leviers à l’installation
Le 8 juin, le Réseau AMAP IDF a participé à une journée inter-réseau organisée par le Réseau CIVAM et la FADEAR sur la thématique des femmes et de l’installation agricole, à l’occasion de la sortie de l’étude de la FADEAR « Femmes paysannes : s’installer en agriculture, freins et leviers ».
L’objectif était de marquer la sortie de cette étude avec l’intervention de structures de l’accompagnement agricole intervenant sur différentes thématiques de l’étude. Les échanges étaient riches et variés, on vous propose aujourd’hui un petit résumé de ce qui s’est dit !
Concevoir et développer son projet : se faire accompagner, accès au foncier
Le GRAAP (Groupe de Recherche Action sur l’Agroécologie Paysanne) des Hautes Alpes a ouvert le bal en présentant un guide intitulé « Devenir Paysanne », guide sur l’installation agricole au féminin réalisé à la suite d’un stage sur le genre. Un des résultats de ce stage a montré que les femmes s’installaient davantage sur des petites surfaces, en bio, en vente directe etc. Est-ce parce qu’elles n’ont pas le choix ou que cela a plus de sens pour elles ? La question reste ouverte mais cela interroge néanmoins sur le rôle des femmes dans la transition agroécologique, sujet qui fait actuellement l’objet de deux stages, au Réseau CIVAM et à l’ADAGE 35.
Nous sommes intervenues par la suite pour présenter les ressources et l’accompagnement aux porteuses de projet proposées par le Réseau : l’étude et le podcast sur les femmes paysannes, le documentaire, les cafés installations sur les femmes et l’installation, le groupe des Josiannes etc. Toutes les ressources sont à retrouver ici.
Acquérir les compétences - se former au moment de l’installation et après
En Ille-et-Vilaine, au sein de l’ADAGE 35 (Agriculture Durable pour l’Autonomie, la Gestion et l’Environnement), association d’éleveur·euse·s laitier·ère·s, un groupe de femmes paysannes, les Elles de l’ADAGE a été créé en 2017 pour échanger et pratiquer sur leurs vécus et organiser des formations. Des formations en non-mixité y sont organisées, notamment d’auto-construction avec l’Atelier Paysan (on vous en parlait déjà là). Résultat : les hommes reconnaissent les bienfaits des outils plus ergonomiques conçus par les femmes, et les utilisent désormais !
Dans les différentes organisations présentes, le principe de non-mixité est souvent source d’incompréhension ou de rejet, de la part d’hommes et de femmes. Pourtant il semble garantir un cadre bienveillant où les femmes ressentent moins de jugement et n’ont pas le sentiment de devoir prouver quelque-chose. Les Elles de l’ADAGE veulent faire de la pédagogie autour de la non-mixité pour mettre un terme aux suspicions et fantasmes que cela suscite, et montrer que le bénéfice qu’elles en retirent dépasse leur strict intérêt personnel.
Et à la question « pourquoi pas des groupes en non-mixité masculine », on répond qu’il en existe déjà de fait, toutefois pourquoi pas inventer de nouveaux espaces afin de déconstruire ensemble les stéréotypes de genre masculins !
S’intégrer dans le milieu agricole - communiquer (avec ses interlocuteur·rice·s, ses fournisseurs, ses potentiel·le·s associé·e·s)
L’étude de la FADEAR montre que les femmes manquent d’aisance avec le matériel et que les fournisseurs recherchent souvent le contact de l’homme pour dialoguer. A l’inverse, avec la clientèle, l’effet est positif, le relationnel est plus facile et les consommateur·rice·s semblent davantage faire confiance aux femmes.
S’est ensuite posée la question de la participation et de l’engagement des femmes dans les réseaux agricoles. A Agrobio 35, des paysannes administratrices nous racontent leurs efforts pour plus d’égalité : la parité au Conseil d’Administration a été atteinte en 2020, les remarques sexistes sont interdites et les échanges se font selon le principe de la sociocratie. Chacun·e a le même temps de parole, ce qui permet aux administratrices de prendre leur place plus facilement.
A la Confédération Paysanne, il existe une Commission Femmes qui regroupe 60 femmes en non-mixité depuis peu. Elles nous ont raconté une formation sur l’auto-défense féministe à laquelle elles ont récemment participé : une formatrice leur a appris à mieux connaître leurs limites, physiquement et mentalement afin de savoir dire non, reconnaître et couper court à des situations sexistes de domination.
Un sujet sensible a été mis sur la table : la question des violences conjugales que peuvent subir les paysannes mais également les violences sexistes que peuvent subir les agricultrices ou les accompagnatrices au sein des organisations. Or la plupart des associations se sentent démunies pour gérer ce genre de situations. Un conseil de la Confédération Paysanne qui a dû faire face à des situations d’agressions : réfléchir à un protocole de gestion de crise avant d’y être confronté !
Financer son projet
La Confédération Paysanne réfléchit à une proposition de DJA (Dotation Jeune Agriculteur, aide à l’installation pour les moins de 40 ans) adaptée aux femmes. Pour les détracteurs du projet, les effets secondaires seraient pires, les femmes pouvant être accusées de favoritisme. Par ailleurs, est-ce que cela ne reviendrait pas à dire qu’être une femme est un handicap ? Mais selon les défenseur·euse·s du projet, cette aide ne serait pas victimaire, elle soulagerait un véritable frein économique notamment lié à un capital moindre à l’installation.
Être soutenue dans ses démarches - au-delà des préjugés liés au métier
Au CIVAM 44 (Loire-Atlantique), un groupe d’échanges entre femmes existe également. L’animatrice de ce groupe a constaté des changements en faveur de systèmes plus économes et autonomes dans les fermes du Groupe Femmes, et s’est demandé si les femmes étaient à l’origine de ces changements, quels en étaient les bénéfices, et si la participation au groupe d'échange a pu contribuer à ces transformations. Un travail fait avec des chercheurs a été réalisé pour creuser ces questions.
La première étape de la transition professionnelle a lieu quand les femmes s’affirment comme paysannes et non plus seulement comme aides, elles créent par exemple leur propre atelier autonome dans lequel elles sont décisionnaires. Puis elles réalisent que d’autres espaces de travail les intéressent, elles s’affirment alors en tant qu’associée et veulent contribue à orienter le système. Emerge alors ce qu’on appelle la conscience de genre. Les femmes ne naturalisent plus leurs préférences et déconstruisent les normes et les injonctions : pourquoi ne pas s’intéresser à la conduite de tracteur ?
Dans la transition agroécologique opérée dans les fermes, la notion de care1 est centrale : les femmes vont par exemple se tourner vers l’agriculture biologique pour prendre soin de la santé de la famille (moins d’exposition aux produits phytosanitaires) et prendre soin des animaux par souci de leur bien-être. Le Groupe Femmes 44 apparaît comme une véritable ressource d’empowerment2. Il est important de développer ces groupes afin que les femmes prennent confiance et coopèrent ensemble, d’autant plus qu’un des effets collatéraux serait potentiellement l’accélération de la transition agroécologique !
La journée s’est finie par des petits groupes de travail pour réfléchir aux différents freins et leviers pour améliorer l’accompagnement du parcours professionnel des agricultrices, favoriser l’articulation des temps professionnels, familiaux et de loisirs, encourager l’engagement des femmes, etc.
Différentes pistes sont ressorties : améliorer le service de remplacement qui n’est pas adapté aux besoins et peu utilisé (notamment pour les mandats syndicaux), mettre en place un système de garderie pour que les femmes puissent se rendre aux réunions, faire davantage de formations sur le genre et les inégalités hommes-femmes (au sein des CA mais aussi auprès des formateurs), prendre en compte les tâches domestiques dans le travail effectué à la ferme…
De nombreuses réflexions enthousiasmantes qui méritent d’être approfondies… !
Par Ninon, salariée du Réseau
1 Le care désigne les soins que l’on donne aux autres et la sollicitude à autrui. Dans nos sociétés, cette fonction est traditionnellement assurée par les femmes.
2 L’empowerment désigne l’octroi de davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés