31 mars 2020
[Carnet de campagne 6/6]: Et si c'était notre tour ?
C’est le jeudi 12 mars 2020, vers 19h30. Noëmie et moi animons une réunion publique sur le thème de la transition agricole et alimentaire à Montreuil, événement organisé grâce à la belle énergie des bénévoles Terre de Liens : six candidat.e.s ont répondu à l’appel, la salle est si bondée que nous devons refuser des dizaines de personnes, même ceux qui voudraient bien se serrer debout les uns contre les autres. C’était une autre époque, il y a une éternité. Et puis, comme un chant du cygne…
Vers 20h30, Patrice Bessac, candidat-maire se lève brusquement au milieu du débat, après qu’un membre de son staff lui ait chuchoté quelques mots à l’oreille : « Les annonces du Président m’obligent à vous laisser, il y a un certain nombre d’établissements dont je dois gérer la fermeture urgemment ! » Ça y est, nous étions entrés dans l’époque nouvelle, qui s’est depuis emparée de notre quotidien.
Mais où est passé par le second tour ?
De drôles de jours suivent ce 12 mars : par précaution, la Marche pour le Climat du samedi 14 mars est annulée par l’organisation dont le Réseau fait partie (notre splendide banderole toute neuve attendra), le gouvernement maintient le premier tour des élections le dimanche 15 mars (un véritable scrutin de la peur, en témoigne le taux d’abstention record), avant que le lendemain le Président ne condamne l’irresponsabilité des Français.e.s qui sont sortis profiter du soleil et appelle au confinement généralisé que nous vivons encore à ce jour. N’empêche que le second tour n’a toujours pas eu lieu.
Alors que le gouvernement a fait adopter, dans sa loi instaurant "l'état d'urgence sanitaire", le principe d’un report du second tour au mois de juin, la question reste en suspens : en admettant que la France sera prête à organiser des élections au tournant printemps-été dans des conditions sanitaires acceptables (en cette période, rien n’est certain), le sort en ces élections reste incertain. En effet, si les spécialistes s’accordent pour dire que s’il fallait repousser encore le second tour, c’est toute l’élection qui devrait être réorganisée, d’autres juristes estiment même que ce report est d’ores-et-déjà inconstitutionnel, étant donné le laps de temps qui sépare les deux tours.
Alors bien entendu, on pourrait se dire que les élections municipales, ce n’est pas la priorité du moment, et qu’il y a des choses plus importantes à régler. Néanmoins, c’est souvent au prétexte d’une crise que les libertés publiques sont réduites (l’état d’urgence finissant souvent par se transformer en loi ordinaire) et que les autoritarismes (de Jupiter ou d’ailleurs) tentent de s’affirmer. Parce que c’est précisément à ce moment que transparaissent toutes ses faiblesses, qu’un organisme (même politique et financier) se défend avec le plus de hargne. Et il ne défend pas forcément les intérêts de la multitude citoyenne.
Les AMAP : parce que c’est notre modèle !
Pendant la campagne, Noëmie et moi avons incessamment évoqué la question de la sécurité alimentaire, affirmant l’agriculture des citoyen.ne.s et des circuits courts comme une priorité écologique et humaine au niveau local, et pas seulement. Bien souvent, le risque de pénurie alimentaire était entendu comme une catastrophe incertaine et lointaine : le COVID-19, virus né de désordres écologiques provoqués par la main de l’Humain, révèle toutes les fragilités de nos sociétés, de nos services publics abîmés jusqu’à notre faible capacité réelle à remplir nos assiettes. La tension animale (parfois bestiale), part étouffée de la condition humaine, se fait ressentir dans les longues files d’attentes qui dégoulinent jusque dans nos rues. Un jour, peut-être que les rayons de pâtes des supermarchés ne se rempliront plus si rapidement que ça.
Ce qui est réellement solide et durable, ce sont les liens humains et écologiques et nous les AMAP, sommes une chaîne du vivant : constituée des relations entre des terres et leurs paysan.ne.s, des relations entre ces paysan.ne.s et des amapien.ne.s, des relations entre ces communautés citoyennes et le reste de la société. Quand la crise et le confinement se sont saisis de nous, que les annonces gouvernementales nous sont tombées dessus, nous nous sommes battus pour notre modèle : côté Réseau, Lucie et Mathilde ont fait sonner les téléphones de toutes les préfectures de la région, et plus largement, se sont assurées que la chaîne des AMAP reste liée et active. Bien d’autres amapien.ne.s ont mené ce travail aussi acharné que primordial, en Ile-de-France et ailleurs, avec de beaux succès.
Les élections municipales ont beau s’être perdues dans les abîmes, ce que nous faisons actuellement est profondément politique car nous prouvons à la société actuelle que nous sommes un modèle solide, et beaucoup plus solidaire dans ses modes ré-imaginés de distribution, que le sont les supermarchés dont les prix ne cessent d’augmenter, profitant de la compétition entre consommateurs. Après cette épreuve, plus aucune commune ni aucun.e élu.e de France ne pourra s’estimer au-dessus du lien à la terre : rappelons-leur sans hésiter, par mail et quand nous les retrouverons sur la place publique, qu’il existe des solutions à déployer sur chaque territoire.
Après c’est Maintenant, et c’est maintenant ou jamais !
Au-delà de ce moment politique et de la gestion des urgences, chacun.e sent et dit avec ses mots que toute cette crise montre à quel point que notre monde ne tourne plus rond du tout. Nous payons déjà un très lourd tribut en vies humaines, et pourtant, les désordres écologiques dont le COVID-19 fait partie, seront bien plus destructeurs si nous continuons ainsi. Le vrai virus c’est l’application à toute chose des logiques financières de profits, et cette maladie nous condamne au court-terme : or, le vivant a besoin de long-terme pour s’épanouir, la société a besoin de long-terme pour rester solidaire et unie, la démocratie a besoin de long-terme, pour prendre des décisions intelligentes et justes pour le plus grand nombre. Ce rapport au temps long est au cœur de la Charte des AMAP qui repose sur le principe d’engagement.
On nous disait qu’il n’y avait pas d’argent pour protéger la planète, mais en fait, il s’avère qu’il y en a pour protéger l’économie. Alors plutôt que de faire comme en 2008 et tout laisser repartir comme avant, nous nous engageons dans cette nouvelle époque avec l’ambition de faire de l’avenir, le sujet le plus important du présent. Tout en continuant à faire vivre et grandir le modèle AMAP, nous travaillons plus que jamais, avec nos alliés associatifs et syndicaux, à construire, proposer et faire financer des alternatives glocales et de long-terme. C’est clairement la plus belle opportunité de le faire depuis et avant longtemps.
La fin de ces carnets de campagne est arrivée. Voici venir les carnets de l’Après. Et après, vous le voyez bien, c’est maintenant ou jamais.
Catfish Tomei